Le suffixe -phobe a plusieurs sens différents, et ce n'est pas nouveau.
Il y a un sens plus proche de la racine grecque qui est la crainte, la terreur. C'est le sens que l'on trouve dans des termes scientifiques comme hydrophobe, photophobe, attesté en médecine et en biologie dès le début du 19e, ou agoraphobe, attesté en psychologie à la fin du 19e.
On peut noter que le sens originel d'hydrophobie dévie déjà de ce sens étymologique.
Ce sens, déjà présent en bas latin sous la forme hydrophobus, désigne une phase de la rage où la déglutition de liquides entraîne des spasmes. Il ne s'agit pas d'une crainte de l'eau, mais d'un rejet de l'eau pour des raisons physiologiques.
Ce sens dépasse le sens étymologique dans l'usage scientifique. Ainsi, en chimie, un produit hydrophobe a tendance à rejeter l'eau. Il ne s'agit évidemment pas de crainte, mais d'un phénomène physique.
Il y a un autre sens qui est la haine, le rejet, qui date (au moins) du début du 19e siècle, et qui est utilisé en sociologie et en politique. Ainsi androphobe et anthropophobe sont utilisés au 19e siècle comme synonymes de misandre et misanthrope. Le premier mot utilisant ce sens de -phobe a rentrer dans l'usage courant est semble-t-il xénophobe, au début du 20e siécle, “probablement créé par Anatole France à propos de l'affaire Dreyfus”.
Les trois sens sont productifs en français moderne. Dans le sens de crainte, on parle d'agoraphobie, de cancérophobie, de téléphonophobie, etc. Le mot phobie seul a aussi ce sens. En chimie, on parle de produit oléophobe, etc. Dans le sens de haine, on parle de francophobie, de judéophobie (les nuances avec antisémitisme pourraient faire et on fait l'objet de nombreux articles), d'islamophobie, d'homophobie, de transphobie, etc.
Réduire -phobe à « craindre » consiste donc à ne regarder qu'un des sens du suffixe, qui est le sens grec mais pas le premier sens à être passé en français. Quant à lui donner un sens de « ne pas aimer », c'est plutôt un contresens : -phobe ne veut à peu près jamais dire « n'aimant pas ». Une phobie signifie que l'on a peur, pas que l'on n'aime pas. Un arachnophobe peut paniquer à l'idée de toucher une araignée tout en aimant qu'elle le débarasse des insectes nuisibles. Les composés comme xénophobe, homophobe, etc. signifient non pas que l'on n'aime pas certaines personnes, mais qu'on rejette leur participation à la société. Il n'y a en fait qu'en chimie que -phobe est antonyme de -phile.
Contester un mot comme homophobe parce qu'il n'aurait pas le « bon » sens, ou prétendre qu'il a un sens différent, manifeste au mieux d'une ignorance de la langue, et au pire est un amalgame délibéré entre ne pas aimer et ne pas respecter. Quelqu'un qui revendique le droit à la X-phobie « parce qu'on ne peut pas m'obliger à choisir ce que j'aime » pratique la confusion entre absence d'amour et haine. Ne pas être X-phobe, c'est accepter que X fasse partie de la société comme non-X, cela n'a rien à voir avec aimer dans ses différents sens.
L'amalgame entre les sens de -phobe n'est certes pas nouveau. Joseph de Maistre voyait il a deux siècles dans les philosophes agnostiques ou athées, ou à vrai dire séculaires, de la théophobie — assimilant un choix philosophique qu'il désapprouve à une maladie. Mais il y a une grande différence entre un comportement psychologique ou physiologique comme l'agoraphobie ou l'arachnophobie, et un choix philosophique ou politique comme la xénophobie ou l'homophobie.