On a l'expression « noyer le poisson », attestée au propre en 1888 (DHLF/Rey) ou avant (1868) dans le contexte de la pêche pour « [f]atiguer le poisson pris à l'hameçon pour le sortir plus facilement de l'eau », puis au figuré, pour « [c]réer la confusion, embrouiller les choses pour éluder une question, donner le change, tromper quelqu'un. ». Par ailleurs on note aussi, indépendamment de la pêche, mais toujours au figuré, noyer qqn sous un flot (de paroles) pour « [é]tourdir quelqu'un en parlant beaucoup » (TLFi, noyer ; voir aussi Larousse) et on donne une partie de l'extrait suivant :
[...] Ne plaidez jamais en pur esprit comme si vous étiez devant la justice juste. Au contraire faites saillir le motif ou l'argument spécial à l'homme qui va faire l'arrêt. Tel ancien avoué est sensible à des raisons de procédure, tel auteur de livres se rend aux considérations générales, tel autre est clérical ou libéral, bon vivant ou mari trompé. Touchez cette corde. [ Le procédé le plus universel est de fatiguer le juge, de le noyer sous un flot de raisonnements contraires, de lui faire pied, de l'entraîner dans le déluge des interprétations, des citations, des autorités puis, à la fin, dans la dernière réplique, de lui tendre la perche. C'est-à-dire un gros argument bien clair définitif auquel il se raccroche. ]
[ Hippolyte Taine, Notes sur Paris. Vie et opinions de M. Frédéric-Thomas Graindorge (1867), p. 303, je souligne, marque ]
Généralement, on peut faire un certain parallèle entre la description bien usuelle de la technique servant à noyer un poisson de 1868 et le propos de Taine ici, en termes de séquence du moins, avec l'idée de tendre la perche (une perche n'est pas une épuisette, mais quand même) à la fin de l'action. En plus, on n'a pas la forme pronominale, comme on avait eu auparavant (se noyer dans les détails, Balzac 1831, ... dans une goûte d'eau, Bossuet ; se noyer dans les explications, 18e chez Voltaire entre autres) ; le sens figuré s'élabore sur l'idée d'être submergé, de perdre pied. Une partie des sens au figuré du verbe noyer ont une valeur péjorative, particulièrement en art avec un sens proche de celui de diluer, et s'élaborent sur l'idée de rendre indiscernable, incompréhensible. On atteste enfin noyer le poisson dans ces derniers sens, et celui de s'en tirer par des paroles confuses, en 1932 (éléments tirés du Dictionnaire historique de la langue française, dir. A. Rey, ed. Le Robert). Le TLFi ne semble pas se prononcer sur l'origine de la noyade du poisson au figuré, mais donne l'exemple :
Il est naturellement incertain, et son art est de faire passer son incertitude pour politique. Il noie le poisson par hésitation et inconsistance.
[ Montherland, Reine morte, 1942. ]
où l'idée de tromperie y semble absente à première vue et le poisson, plutôt générique.
- L'extrait de Taine entre crochets ne constitue-t-il pas la définition même de noyer le poisson ; noyer quelqu'un sous un flot quelconque, n'est-ce en fait qu'une partie de la séquence de l'action de noyer le poisson ; est-ce étourdir ou plutôt asphyxier ; le segment ou l'expression ont-ils une connotation péjorative ?
- Noyer le poisson implique-t-il une idée de tromperie ou de mesquinerie ; est-ce péjoratif ou est-ce un art ; l'était-ce dans le propos de Montherland ?
- Où atteste-t-on en premier, et directement, noyer le poisson (au figuré, autour de 1932) ?