Il existe certaines valeurs ou fonctions plus abstraites que celles ayant trait au temps que peut prendre l'adverbe toujours. Larousse y fait allusion de deux manières, avec l'idée de la « possibilité souvent très incertaine dans l'avenir (surtout après pouvoir ou après un impératif) : Viens toujours, on verra bien. » mais surtout avec celle de l'intensif comme dans « c'est toujours mieux que rien. » (Larousse). Au DHLF/Rey on parle de valeur "dite « de circonstance logique »" qu'on atteste en 1520, provenant d'une « correspondance temporelle entre deux choses d'abord après un verbe. » avec valeur du type en tout cas, quoiqu'il arrive (Dictionnaire historique de la langue française, dir. A. Rey, ed. Le Robert, jour/toujours). Valeur qu'on rend par en tout cas, en attendant au LBU (§ 1006 e 3), où l'on a par ailleurs des exemples, qu'on dit retrouver souvent dans des dialogues, et où parfois l'adverbe toujours apparaît en fin de phrase, postposé :
(1) Je vais toujours commencer ma lettre [...], sans savoir quand j'aurai le temps de la finir. (Châteaubriand)
(2) Descendez toujours ; je prends mon manteau et je vous rejoins. (Gide)
(3) J'ai eu bien peur, toujours ! (Musset)
(4) Que cela ne t'arrive plus, toujours ! (Hugo)
(5) Tu n'es pas allé chez moi, toujours ? (Genevoix)
À ça j'ajouterais :
(6) J'vas toujours ben m'en prendre quequ'paquets pendant qu'y me voient pas ! (Tremblay)
Le TLFi a une section fort intéressante sur les emplois qu'il dit pragmatiques, dont ceux-ci :
[Marque la prise en charge d'une conclusion jugée acquise en tout état de cause, ne serait-ce que par le fait qu'elle engage fort peu] Rem. La conclusion en cause ,,ne soulève pas elle-même d'objection sérieuse; elle ne coûte rien, ou bien, si elle consiste en une action, cette action ne comporte pas de risque important ou encore est réversible, annulable`` (Modèles ling. t. 7, 2 1985, p. 117). Dites toujours. Passons toujours prendre le café au salon (A. Daudet, Tartarin Alpes, 1885, p. 225). − Faut pourtant que je l'achète, le petit café (...) − Achetez-le toujours. Si ce n'est pas moi... ce sera une autre (Mirbeau, Journal femme ch., 1900, p. 215).
[Marque la prise en charge d'un argument, sans doute faible, mais considéré comme acquis et qui restera valable quoi qu'il arrive] Rem. Dans ce sens, toujours ,,introduit dans un argument, indique pourquoi il faut prendre en considération cet argument, en mettant en œuvre le principe: « si faible que soit un argument, il reste un argument et il faut le suivre si on n'a pas d'argument plus fort en sens inverse »`` (Modèles ling. t. 7, 2 1985, p. 122). La valeur est proche de en tout cas, de toute façon, quoi qu'il en soit: Angélique donna son aumône. − Voilà toujours un pain. − Oh! du pain, reprit la mère (Zola, Rêve, 1888, p. 84).
[ Trésor de la langue française informatisé, TLFi, extraits des remarques à II. B. et C., toujours ]
Sempiternel duo de questions :
- La position du toujours (pragmatique, de circonstance logique, intensif etc. mais non pas temporel) dans les exemples relève-t-elle ici davantage du besoin d'éviter de reproduire certaines constructions usuelles que d'un ordre particulier (C'est-à-dire, par exemple, qu'avec le premier exemple, placer toujours après lettre donne toujours sans, où le pragmatisme est complètement éteint.) ? Doit-on nuancer entre le sens pragmatique et le sens intensif de toujours dans ce contexte ?
- Avec ce genre d'emploi, l'adverbe peut-il apparaître en amont dans la phrase uniquement avec un infinitif (1) ou est-ce du à la présence d'un verbe particulier, comme aller (1)(5)(6) ; pouvait-on ne pas postposer l'adverbe dans les phrases (3) (4) et (5) ; qu'est-ce qui fait que ça fonctionne, que ça reste cohérent, ou non ?