2

On dit que l'assimilation phonétique constitue « un type très fréquent de modification phonétique subie par un son au contact d'un son voisin (contexte), qui tend à réduire les différences entre les deux. » (Wikipédia) et avec certains types d'assimilation on présente comme critères de régression ou de progression la position du son dans une syllabe et la force articulatoire d'un son ; on rappelle aussi que « l'assimilation n'est pas l'extension d'un caractère acoustique d'un phonème dans le domaine d'un autre (...) mais un rapprochement articulatoire ou l'extension d'un caractère physiologique d'un phonème dans la formation du phonème voisin. » (G. Straka, ds. le TLFi, à assimilation). La dissimilation est le phénomène opposé « par lequel deux phonèmes identiques ou présentant des caractères communs tendent à se différencier s'ils se trouvent dans le voisinage l'un de l'autre, l'un, dit dissimilateur, modifiant ou déplaçant ou supprimant l'articulation de l'autre, dit dissimilé`` » (Mar. Lex. 1951, ds. TLFi à dissimilation). On en a peu parlé dans les questions.

L'hypothèse de M. Ohala sur la cause de la dissimilation c'est que les interlocuteurs « are confused by sounds that have long-distance acoustic effects » (éprouvent de la confusion quand ils sont exposés à des sons ayant des propriétés acoustiques avec effets à longue distance - aucune idée - mais on dit (Wikipedia angl.) des sons qui « frequently cause long-distance effects, such as nasaliation and pharyngealization », impliquant la nasalisation et la... avec le pharynx). J'ai rencontré ici et ailleurs certains exemples...


Si on prend le colonel (1543), on a déjà eu le co(u)ronnel/-al, coronel (et d'ailleurs c'est l'explication de la prononciation de ce mot en langue anglaise semble-t-il) :

La forme coronel (d'abord couronnel, couronnal en 1540-46, Amadis de Gaule ds Hug.), attestée jusqu'au début du XVIIe s. (Malherbe, v. Lalanne), n'est probablement pas due à l'influence de l'espagnol coronel (FEW t. 2, p. 935a) mais correspond plutôt à un phénomène fréquent en moyen français (cf. mérancolie pour mélancolie *, pil(l)ure pour pilule *; Hope, p. 181 [critique]).

[ Trésor de la langue française informatisé, TLFi, section étymologie de colonel (extrait) ]

Le DHLF/Rey parle aussi du même phénomène, sans le préciser, et donne ces deux mêmes exemples (mélancolie/pilule).


Si on prend une acception ancienne du verbe haler (1460), on parle directement de dissimilation :

Dérivé de l'ancienne interjection hare (s.v. haro ; [FEW]); dés. -er. La forme haler [comp. harer, 1377] provient sans doute d'une dissimilation des deux -r-, occasionnée par l'infinitif et le futur (cf. FEW t. 16, p. 151b), et qui a gagné les autres mots de la famille (cf. Tilander, Nouveaux essais d'étymologie cynégétique , pp. 100-102 [critique]).

[ Trésor de la langue française informatisé, TLFi, section étymologie de haler (extrait) ]


  • Le phénomène observé avec colonel est-il le même que celui rencontré avec haler, soit celui de la dissimilation phonétique ; peut-on en préciser sa nature particulière (force articulatoire du R ou L, position de la syllabe ?) ; y a-t-il nasalisation ou emploi particulier du pharynx, des poumons, dans ces exemples ; doit-on simplement lire l'article sur l'assimilation à l'envers pour comprendre la dissimilation et ses types ?

  • Pourquoi la dissimilation aurait-elle été plus fréquente en moyen-français (2) si le phénomène est articulatoire ; quelles circonstances se prêtent à la dissimilation (par opposition à l'existence de simples variantes graphiques, par opposition à l'assimilation) ; la dissimilation en français s'articule-t-elle autour du rhotacisme comme en langue anglaise, quels sont ces long distance effects ; quel est le rôle historique et la fonction première de ce phénomène en langue française ; à quoi cela a-t-il servi avec colonel et haler (coronel serait-il moins confus que colonel, par exemple) ; pourquoi cela affecte-t-il la graphie et pas uniquement la prononciation ; est-ce un phénomène encore courant aujourd'hui et le cas échéant a-t-on un exemple typique ?


Il s'agit d'expliquer brièvement la fonction (historique) et la nature de la dissimilation phonétique en (moyen-)français, sa contribution, et d'illustrer quelques nuances au moyen des exemples ; et de savoir si l'hypothèse de M. Ohala trouve application en français (d'hier et d'aujourd'hui) et dans quels cas, ou si on est au courant de nouvelles hypothèses en littérature spécialisée là-dessus.

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  • Surement hors-sujet, mais l'accent asiatique (qui ne possède pas le son [r]) est souvent moqué pour son remplacement des 'r' pas des 'l'. Il serait intéressant de savoir les raisons qui ont fait que cela a été vrai pour les indigènes.
    – Yohann V.
    Dec 1, 2016 at 15:58
  • @YohannV. Dans l'article Wiki en ang., c'est le fait de prononcer rapidement, d'où ma référence à la répétition dans le titre. Mais on a bien ces six saucissons-ci sont si secs qu’on sait sûr que c’en sont, et saucisson n'est pas devenu saurilon ou je ne sais quoi pour autant etc. En quoi l'aspect articulatoire de tout ça serait particulier en moyen-français, ce n'est pas la prononciation de prime abord. Pourquoi des mots de sa propre langue seraient-ils trop difficiles à dire, parce qu'ils sont trop proches du latin, du néerlandais etc. ?? C'est une étape de l'intégration de l'emprunt ?
    – user3177
    Dec 2, 2016 at 2:33
  • 1
    Vous avez cité : l'assimilation phonétique [...] tend à réduire les différences entre les deux. [...] La dissimilation est le phénomène opposé [...]. Une articulation réalisée avec une élocution rapide tendra rarement vers une articulation distincte et juste d'un mot. La rapidité requise nécessitera de faire sauter des voyelles, voir des syllabes. (J'sais bien qu'c'est pas 'xceptionnel.). J'imagine qu'une assimilation a été souvent faite pour fluidifier l'emploi régulier d'un mot et la dissimulation pour le mettre en relief au contraire.
    – Yohann V.
    Dec 2, 2016 at 13:10
  • 1
    J'imagine qu'un saucisson a moins d'importance qu'un colonel dans un dialogue de tous les jours. Et pour harer/haler, son importance me semble venir de son sens. Je ne saurais développer plus avant, espérons que quelqu'un d'autre sera plus inspiré...
    – Yohann V.
    Dec 5, 2016 at 7:45
  • 1
    @YohannV. Merci, c'était un échange intéressant !
    – user3177
    Dec 7, 2016 at 21:02

2 Answers 2

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This is going to be a pretty dissatisfactory answer, but given that there hasn't been another ventured in 3.5 months, I thought I'd share what I know.


For why it would be more common in moyen-français, I rather like this line from the historical summary of the period that you cited:

Le français perdit la prérogative de se développer librement, il devint la chose des lettrés, des poètes et des grammairiens.

This process accelerated with classicism. Perhaps spoken language would be less affected, but the written record certainly swerved towards regularization after that period.

This OQLF article implies that dissimilation is alive and well today, however, even if the spelling does not reflect the pronunciation.

Certainly both assimilation and dissimilation are active in English, as the English Wikipedia articles make clear, despite spelling standardizations that would hide it in the written records. But the written record doesn't affect the acoustic and articulatory processes that underlie phonology.


I think there would likely be the same underlying cause for harer and colonel. I don't believe nasalization or phonoation would play a role in either, only the acoustic and articulatory character of [r] and [l]. Whether it's because it would be hard to pronounce two in a row or because it would be hard to distinguish two in a row is likely immaterial and difficult to establish for a particular centuries-old case anyhow, though you can sometimes guess at differentiation in modern cases. (One way in which dissimilation is not "just the reverse" of assimilation is that assimilation probably doesn't have acoustic origins, i.e. it's not done to confuse the listener!)

It doesn't look like the final "r" was silent as early as harer was borrowed, but one reason they might have mentioned the future tense in particular is that in harera, etc. the second syllable would have lost the stress and that reduction brings the two consonants still closer in the articulation (as well as moving the acoustic salience that would have possibly impeded the shift — comparing it to the similar case of English governor as "govenor", if you emphasize the second instead of the first syllable you can't possibly delete the "r").

Incidentally, one reason the change in colonel might have taken place in French and Spanish but not in Italian is that the second "l" was and is doubled in Italian. In Italian, geminates are phonemic and hence presumably already sufficiently distinct from single "l".


More I can't say, e.g. on dissimilation in moyen-français, since I don't know. I do have contact with a historical linguistics professor focusing on Romance languages of the period, so if I have the occasion to ask her opinion I will. :)

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  • Thank you ! Your answer is both insightful and challenging, especially as I have to reacquaint myself with this Q. which feels like it was written in a trance-like state. As you may probably not be able to imagine, it is difficult to assess such concepts with no background and ask something which is answerable and interesting for those who would answer, even more so with comparative material. Do not hesitate. What one knows may hold lots of value for the layman and nuanced tasty food for thought I prefer to half-baked certainty... and as you mentioned further edits are possible down the road.
    – user3177
    Mar 16, 2017 at 17:05
  • 1
    Glad it's of some help. :) Very true, that it's hard to formulate good questions in fields one is just becoming acquainted with. If anything strikes you as needing clarification in my answer, I'll give it a shot. And if I can update this usefully I will.
    – Luke Sawczak
    Mar 17, 2017 at 1:41
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‘The long-distance acoustic effect’, selon moi, doit être compris comme la présence soutenue d'un son dans la chaîne parlée et de son incidence sur l'articulation des sons voisins, probablement due au repositionnement de l'appareil vocal, qui est plus lent que la prononciation.

Je pense par exemple au mot inventer, dans lequel le V, de par sa position entre deux nasales, n'est pas exactement comme celui du mot valeur (je sens encore un filet d'air passer par le nez lorsque je le prononce, contrairement à celui de valeur). En fait, même pour les mots vent ou vingt, ma prononciation du V initial est déjà altérée par ma préparation à la voyelle nasale qui suit.


Concernant la dissimilation, si j'ai bien compris la notion (?), j'aurais quelques exemples (qui concernent cependant tous un unique phonème).

Souvent, en français du Québec:

  • Enfant devient /ɑ̃fã/, et
    En enfantant devient /ɑ̃nɑ̃fɑ̃tã/.
  • Cent se dit /sã/, mais
    Cent ans si dit /sɑ̃tã/.
  • Entendre /ɑ̃tɑ̃dʁ(ə)/
    J'entends /ʒɑ̃tã/
    Nous entendons /nuzɑ̃tɑ̃dɔ̃/
    Malentendant /malɑ̃tɑ̃dã/.

Il est remarquable que le phonème [ɑ̃] subisse ainsi une déformation qui n'est pas fonction du mot en absolu, mais plutôt de son voisinage.

C'est comme si l'on cherchait à distinguer le dernier son [ɑ̃] d'un mot ou d'une expression afin de donner un petit signe à l'interlocuteur que l'élocution du concept (je dis concept à défaut d'un meilleur mot) est terminée et que son cerveau peut l'analyser comme un tout terminé.

Je me demande si certaines conjugaison du verbe faire n'auraient pas subi ce genre de mutation par dissimilation, expliquant les prononciations [ə] de l'imparfait (elle faisait [ɛlfəzɛ]) et des futur et conditionnel présent, où même la graphie est modifiée par rapport à l'infinitif (nous ferons).

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