Dans une fable bien connue, dont on a déjà justement dit qu'elle était l'une de cinq fables marquant « l'imaginaire collectif français » et faisant « partie du fonds culturel commun, en dehors de toute "spécialisation" savante »1, 2, l'auteur présente ainsi ses protagonistes :
Maître Corbeau, sur un arbre perché,
Tenait en son bec un fromage.
Maître Renard, par l’odeur alléché,
Lui tint à peu près ce langage :
[...][ Le corbeau et le renard (I, 2) de Jean de La Fontaine, 1668, je souligne ]
On nous dit que le mot maître a une spécialisation professionnelle, laquelle le rend apte à l'emploi comme « titre à l'adresse de certains métiers ». De là procède l'emploi en appellatif devant un prénom d'une personne de la classe moyenne (maître Pierre). On nous dit qu'on conserve les traces de ce dernier emploi dans... « les appellations plaisantes données au animaux de La Fontaine » (Dictionnaire historique de la langue française, sup. A. Rey, ed. Le Robert, 2011, à l'entrée maître, dont on vient de paraphraser certains des éléments).
Le TLFi présente dans sa section sur l'emploi de maître comme appellatif (III.), on trouve deux types d'emploi qu'on note comme vieux ou régional, dont celui avec le prénom (B.) pour s'adresser aux agriculteurs propriétaires. Puis on dispose de trois emplois par allusion à la littérature (D.) : le maître aliboron (le sot, popularisé par La Fontaine même dans I, 13), Maître Jacques (la référence à L'Avare (première 1668) de Molière, le cocher qui est cuisinier, qu'au lexique on définit comme un factotum, le subalterne, presque le serviteur), et enfin un emploi par imitation de La Fontaine (« Sitôt pétris, sitôt soufflés, Maître Serpent les a sifflés, Les beaux enfants que vous créâtes! », Valéry, Charmes). L'entrée au Larousse est aussi intéressante. Généralement l'origine de l'emploi en appellatif tout court remonte à Chrétien de Troyes (ds. Chevalier au lion, v. 1170 : « Ne vous vaut, Que vous n'en istrés or, biau mestre. [...] »).
Considérant les versions d'Ésope et de Phèdre, pense-t-on qu'il s'agisse dans la fable de La Fontaine du même sens de maître qui est employé autant pour le corbeau que pour le renard ; quels sont ce ou ces sens le cas échéant ; s'il n'y a qu'un sens/emploi quel mot pourrait aujourd'hui en tenir lieu dans la fable ?
La référence qui alimente Molière et La Fontaine est-elle celle du maître aliboron ou l'idée de spécialisation ; la connotation principale aujourd'hui de maître + prénom/nom d'animal est-elle toujours celle de l'aliboron, ou bien celle du subalterne (Molière), ou est-ce uniquement « plaisant » vu l'importance qu'a la fable de La Fontaine ; cet emploi ne survit-il que par référence à la littérature ?
- Brièvement, qu'est-ce qu'un emploi appellatif : s'agit-il d'un substantif ou ce maître a-t-il la fonction d'un adjectif devant le nom de ces animaux ; le cas échéant le sens est-il différent ?
- Brièvement, le maître Pierre de la classe moyenne dont parle le DHLF est-il l'agriculteur propriétaire dont parle le TLFi ; le maître Jacques dont parle Molière ?
1 Michel P. Schmitt, La place et l'image de La Fontaine dans l'enseignement durant la décennie, dans Le Fablier, 1991, dont on présente un bref extrait sur ce site.
2 Au Québec, j'ai dû apprendre cette fable par cœur à la petite école, mais je préfère La cigale et la fourmi (I, 1).