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L’an dernier, j’ai travaillé avec plusieurs Africains, de différents pays : Côte d’Ivoire, Guinée, Maroc, Tunisie. Comme notre travail impliquait beaucoup de discussions avec des données numériques, j’ai pu constater à ma grande surprise que tous, sans exception, nommaient les nombres de la dizaine des quatre-vingt exactement comme celle des vingt qui serait préfixée d’un quatre.

Nous avions donc droit à des 88 prononcés /katʁə.vɛ̃t.ɥit/, et plus surprenant encore des 81 auxquels était ajouté un et : /katʁə.vɛ̃t.e.œ̃/. Nous avions d’ailleurs eu un désaccord sur ce dernier nombre : malgré leur utilisation du et, j’étais absolument convaincu qu’ils connaissaient la norme habituelle, mais il me fallu la leur prouver, dictionnaire et Wikipédia à l’appui (les grammaires sont plus rares en milieu de travail).

J’ai donc cru comprendre qu’il s’agissait là de l’enseignement habituel du français en Afrique (pour tous ces collègues, le français fut une langue d’enseignement, mais pas une langue maternelle).

  • Le français est-il vraiment enseigné ainsi dans certains pays africains ?
  • Quelqu’un d’ailleurs reconnaît-il son usage personnel ou celui d’un proche dans ces exemples ?
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  • 1
    Sans pouvoir vraiment y répondre, je constaterais qu'une telle habitude n'exige pas d'enseignment direct (malgré l'explication y faisant référence), mais tout simplement un usage courant. Je suis enclin à croire que quatre-vingt, plutôt que d'être employé de façon systématiquement erronée, serait relexicalisé selon une analogie avec les autres nombres : ceci est susceptible de se produire dans la parole de tous jes jours. Les exceptions ont tendance à « s'aplanir » faute de motivation pour respecter le statut étymologique (quasiment disparu même en français standard dans ce cas).
    – Luke Sawczak
    Jun 6, 2017 at 13:36
  • 1
    Oui, la logique interne de la faculté langagière prévale souvent sur l'uniformité mondiale. :) La plupart du temps il faut un emploi très fréquent pour conserver des irrégularités marquantes, c’est-à-dire que les mots comme « être, avoir, aller » garderont leurs conjugaisons exceptionnelles tandis que « tirer » non. Les nombres se trouvent entre les deux côtés, mais là on a aussi la tendance d’un système de nombres à se régulariser vu qu’il y a un très grand nombre de lexèmes dont il faut tenir compte. L'étrange à mon sens est qu'une si grande partie de la Francophonie garde cette exception !
    – Luke Sawczak
    Jun 6, 2017 at 16:16
  • 2
    Une régularisation récente à la norme: au Québec il y a encore vingt ans, la façon de compter les 60-70 «soixante et deux, soixante et trois, ..., soixante et dix, ..., soixante et dix-neuf» était omniprésente. À force d'insistance (de qui, pourtant?), cette tournure est désormais en sévère régression et la grande majorité de ses fidèles compte au moins un demi siècle de bougies sur leur gâteau. Selon LBU14§593, avant Oudin et sa Grammaire françoise (1632), il était courant d'ajouter et pour toute opération additive (mil et sept cent), mais l'omission s'est tôt manifestée. Jun 6, 2017 at 16:44
  • 1
    La disjonction crée des termes et /katʁə.vɛ̃t.ɥit/ se rapproche par exemple d'un montant d'argent où on prononcerait faiblement la conj. et avec l'omission du nom de la monnaie (4.28$) ; ou comment on prononce la combinaison chapitre/verset d'une référence à un passage de la Bible (Marc 4:28) ou autrement pour moi ça créé une détermination par multiplication des termes (4 (x) 28 = 112). C'est surprenant...
    – user3177
    Jun 6, 2017 at 17:32
  • 1
    @LukeSawczak 75¢ était probablement le prix habituel de plusieurs choses et l'argent comptant était beaucoup plus présent qu'il ne l'est aujourd'hui, surreprésentant peut-être ce nombre par rapport à d'autres et permettant à cette ancienne forme de survivre jusqu'à l'ère des cartes de débit et des bitcoins. Qui sait? Jun 6, 2017 at 17:37

1 Answer 1

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Pour répondre uniquement à la première de ces deux questions...

Mon père, pour éviter le service militaire, a enseigné le Français pendant quelques années au Niger. Il n'est plus tout jeune, et cela a du avoir lieu au début des années 70, mais si lesdits Africains avec qui tu travailles ont autour de la cinquantaine, ça pourrait coller...

Je n'ai cependant jamais entendu mon père dire "80 ET 1", je pense qu'on peut donc en conclure qu'il a enseigné la prononciation 80 1 et pas 80 et 1 à ses élèves.

Cet exemple ne fait pas loi, mais il est en tout cas authentique !

1
  • Mes collègues étaient tous plus jeunes que ça, le plus vieux ayant dû commencer sa scolarité vers la fin des années ’70, et le plus jeune sortant tout juste de l’université. Merci néanmoins pour votre réponse. Je ne sais pas si mes collègues ont généralement eu des professeurs européens ou africains, je suppose que ce devait être un peu des deux. C’est tout de même un point de départ. Est-ce là une prononciation courante ou au moins occasionnelle dans votre région? Dec 7, 2017 at 14:15

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