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J’entends depuis quelques années un « mais » que je qualifierais d’explétif dans la mesure où il n’est pas nécessaire à la construction de la phrase et qu’on peut le retirer sans en modifier le moindrement le sens (voir aussi dans Wikipédia : explétif d’insistance). Il incorpore aussi sans doute une partie des propriétés d’un « mais » exclamatif.

Il s’agit d’un « mais » en plein milieu d’une phrase, précédent le plus souvent un adverbe d’intensité conjugué à une hausse du timbre de la voix.

  • C’est ce qui rend cette ville mais tellement belle et agréable à visiter !

  • Cette compagnie se complait dans la mise en marché de produits mais vraiment trop controversés !

J’entends régulièrement ce genre de tournure à la radio, par les invités et animateurs (le plus souvent des invitées et animatrices, en fait), et bien que je n’écoute guère la télévision, il m’arrive de l’entendre là aussi à l’occasion.

En société, il me semble que certaines personnes ont pleinement accepté cette manière de s’exprimer et l’utilisent couramment, au point que je ne passe guère plus de quelques jours sans l’entendre ici ou là. Pour un certain type d’argumentation, je suis prêt à accepter ce que je ressens comme une innovation linguistique valide, même si je me rebiffe un peu à la couche d’arrogance sous-jacente que je ressens à son utilisation¹.

À l’écrit, par contre, cette tournure semble très peu usitée. Deux ou trois pages de résultats seulement sur Google pour des recherches telles que :

Les résultats obtenus sont le plus souvent de petits blogues ou des forums en ligne. Par ailleurs, c’est le grand néant sur Ngrams.

Même absence de résultats chez Gallica, où les quelques rares trouvailles ne correspondent aucunement à ce type de construction ici décrit. Nous avons donc à ce point de l’histoire, à peu de choses près, un phénomène strictement oral.


Mes questions :

  • Quelle est votre expérience personnelle avec ce mais explétif ? Le rencontrez-vous parfois ? Est-il présent dans toutes les régions de la Francophonie ? Je peux d’ores et déjà attester sa présence au Québec...

  • D’où provient-il ? Peut-on retracer ses premières attestations ? Est-il récent ?

  • « Explétif » est-il bien le qualificatif qui convient pour décrire de phénomène ?


¹ Mon aversion n’est pas grammaticale. Elle provient davantage du ton péremptoire et fermé aux objections possibles que l’expression me semble vouloir imposer, autant par son accumulation d’adverbes d’intensité que par la hausse de la force et du timbre de la voix qui caractérisent le plus souvent son élocution.

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  • 2
    Je l'associe personnellement à un mode d'expression générationnel, dans la lignée du "trop" superlatif ("trop bien !") Jan 6, 2018 at 20:36
  • 2
    Cet usage intéressant ressemble un peu à l’usage: «II.− A.−1.a) α) … {Par anticipation des objections à la conclusion} Il a beaucoup, mais beaucoup plu. Il fut reçu bien, mais très bien», mais où le locuteur ne prend même pas la peine (le risque?) de mentionner l’adjectif avant sauter directement au «mais + adverbes d’intensité».eg:«C’est ce qui rend cette ville [belle et agréable à visiter,] mais tellement belle et agréable à visiter!» «Cette compagnie se complait dans la mise en marché de produits [trop controversés,] mais vraiment trop controversés!»
    – Papa Poule
    Jan 6, 2018 at 21:29
  • 1
    @Lambie Une expression possède sa personnalité. La personnalité de cette tournure, selon MA perception, semble vouloir imposer non seulement la conclusion qu'elle introduit, mais encore la puissance, l’écrasante évidence de cette conclusion. C’est un peu trop vitaminé pour le tiède personnage que je suis. Jan 6, 2018 at 23:27
  • 1
    @PapaPoule J'avais aussi remarqué cette tournure, d'ailleurs tirée du dictionnaire de l'Académie, ce qui lui confère une certaine valeur (ou une valeur certaine, c'est selon). J'approuve votre analyse du saut direct sans mention initiale de l'adjectif, et je vois même comment cette accélération du processus donne une nouvelle vigueur à la tournure: répété deux fois, «belle et agréable à visiter» serait inconvenablement lourd, tandis que de cette manière, on peut s'étendre sans lasser l'auditeur et enchaîner les qualificatifs (dans une certaine mesure, on s'entend...) Jan 6, 2018 at 23:34
  • 1
    @Feelew oui, j'entends même souvent des phrases du type "ah nan mais trop, quoi !" pour marquer l'approbation. On peut discuter du termes générationnel. Dans mon expérience (en France) ces expressions relevaient du "parlé jeune" il y a une dizaine ou une quinzaine d'année (employées par des jeunes adultes ou adolescents mais pas par leurs parents) et ont continué d'être employées par cette génération qui a maintenant un peu vieillit... Peut-être en se diffusant également. Mais évidemment cette expérience n'a pas valeur d'étude sérieuse du sujet. Et peut-être qu'on parle d'usages différents. Jan 7, 2018 at 8:58

2 Answers 2

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Pour moi c'est quasiment de la ponctuation orale.

Je la rencontre pas mal, en France. Plutôt par les jeunes (quand c'est en milieu de phrase).

Je pense qu'on peut le rattacher au "mais" en début de phrase qui devient une interjection : "Mais naaan !" "*Mais put**n...*" "Mais t'es sérieux ??"

Voilà ma théorie : je pense qu'il vient des contestations d'enfant, du style :

- Range ta chambre !

- Mais mamaaaan !

À la base il devait y avoir un argument après "mais" ("Mais j'ai pas fini !"), mais il est pas indispensable, le "mais" tout seul suffit à exprimer la contestation. Avec, à l'extrême, le fameux :

Mais-euh !

À partir de là il est utilisé quasiment comme une interjection (comme les exemples du début), "Mais put***n, tu la bouges ta caisse ??", pour la surprise et/ou l'énervement.

Ensuite seulement, il peut être utilisé pour la surprise "positive" :

Mais c'est trop bon ce truc !

Waaaah mais comment t'es trop jolie avec ça !

À partir de là si on prend l'habitude de l'utiliser tout le temps il peut commencer à se glisser au milieu des phrases, toujours pour marquer l'étonnement, ou l'admiration comme dans ton exemple :

C’est ce qui rend cette ville mais tellement belle et agréable à visiter !

C'est juste une théorie, mais ça me paraît plutôt plausible et cohérent.

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  • 1
    Merci de votre réponse. Je trouve très intéressante votre remarque sur le fait que ça s'entend par les jeunes en France. Je puis aussi constater par les exemples que vous proposez que votre expérience est vraisemblablement telle. Surprenamment, le tour au Québec est très employé de façon sobre et nuancée par des femmes instruites et posées. Jan 12, 2018 at 18:12
  • @Feelew En France aussi. La dernière phrase de Teleporting Goat est plus vraisemblable provenant de la bouche d'adultes « bon chic bon genre » que d'enfants.
    – jlliagre
    Jan 13, 2018 at 0:49
  • @jlliagre Pas de souci ! Tu es allé voir ce que ça voulait dire ? :) Jan 13, 2018 at 1:10
  • Thanksgiving bien sûr ! ;-) En sms, tg ça veut dire ta gueule :-)
    – jlliagre
    Jan 13, 2018 at 1:42
  • 1
    Ah oui, c'est vrai. Ça ne change pas ma remarque qui est que cette phrase est idiomatique aussi en France mais inattendue de la bouche d'un enfant.
    – jlliagre
    Jan 14, 2018 at 1:20
0

Peut-être une manière de simplifier une tournure habituelle répétitive et un peu plus lourde tout en maintenant le besoin d'emphase ressenti par la personne qui parle?

Un exemple où la tournure sans élision a été privilégiée, sur Radio-Canada en mai 2021 :

Dans le haut du Lac actuellement, comme partout ailleurs, il faut vraiment, mais vraiment suivre les mesures.

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