Une réponse a déjà fait un bon tour de la nomenclature des insectes sanguinaires du Québec. J’y ajouterai une confirmation de première main que l’ordre maringouin – mouche noire – brûlot est le bon, depuis mon enfance et jusqu’à aujourd’hui, et qu’il demeure aussi valide en allant vers l’ouest jusqu’aux Rocheuses, de la frontière avec les États-Unis jusqu’aux confins nordiques du continent, juste au sud des îles arctiques. Je suppose sans problème qu’il était le même il y a un siècle, les conditions hydrographiques suivant la fonte des neiges suivant vraisemblablement la même séquence aujourd’hui qu’alors.
Comme l’indique l’auteur de la réponse, cependant, tout cela n’explique pas pourquoi les maringouins sont distingués des moustiques dans la citation, et je n’ai pas non plus de réponse absolue à offrir ici, simplement une hypothèse à émettre, hypothèse qui ne sera malheureusement pas avare de présuppositions que d’aucuns pourront juger irrecevables. Je l’offre néanmoins en attendant une meilleure solution...
Hypothèse
• Il fut un temps où le terme maringouin, inusité en Europe, supplanta celui de moustique dans l’usage oral Canadien-Français, pour désigner l’insecte que l’on connaît aujourd’hui indifféremment sous les deux appellations. Qu’un mot en remplace un autre est un phénomène avéré quoique rare, bien que sa rareté ne soit pas extrême. Les raisons varient cependant, et toute conjecture sur les raisons qui auraient assuré la promotion de maringouin aux dépens de moustique serait de ma part hasardeuse et ici inutile.
• Moustique devient alors un terme libre, libre de s’appliquer à un autre type d’insecte ennuyant, la mouche noire, la grande absente de la liste citée par Gérin-Lajoie, cette plaie des forêts québécoises en juin et juillet, et que l’on serait bien en peine d’essayer d’oublier lorsqu’arrive son temps de l’année.
Pourquoi supposerais-je que la moustique (Glossaire du parler français au Canada) ait selon l’auteur été un terme désignant la mouche noire ?
La première et plus importante raison est l’ordre d’apparition de leurs populations après l’hiver, hypothèse formulée dans la réponse liée en début de réponse et confirmée ci-dessus par moi-même, d’après mon expérience personnelle d’enfant de la campagne abitibienne et de travailleur de terrain ayant fréquenté ces hostiles milieux de la taïga et de la toundra canadienne depuis plus de vingt ans.
Ma seconde raison est plus spéculative. Les cadres de moustiquaires attachés¹ aux fenêtres des maisons nord-américaines datent, paraît-il, de la première moitié du XIXe siècle, on peut donc penser que de longue date les gens en ont fait usage dans leur maison, afin de se protéger convenablement de l’appétit féroce des maringouins, particulièrement actifs la nuit et à l’aube et gâchant avec une étourdissante efficacité le sommeil des justes et des autres. Mais il est un fait que tout un chacun ayant séjourné dans les campagnes québécoises en été pourra confirmer : les mouches noires, nuées d’une extrême agressivité au grand air, sont d’une remarquable tranquillité aussitôt arrivées à l’intérieur des maisons, même celles dont on laisse les portes ouvertes. Les mouches noires forment alors une colonie dans les fenêtres ou moustiquaires, où les enfants (petits et grands), peuvent les écrabouiller l’une après l’autre sans devoir même se presser. Leur comportement en ceci est fort différent de celui du maringouin, qui ne se formalise guère d’un séjour à l’intérieur des maisons. Si l’on considère que le moustiquaire tire son nom du fait qu’il protège contre les moustiques (maringouins), que l’on observe ensuite qu’il s’y forme des colonies de mouches noires, et que le terme moustique est désormais libre, pourquoi ce dernier ne pourrait-il pas alors s’appliquer aux mouches noires ?
C’est très hypothétique, mais j’illustre cependant le fait qu’un nom animal devenu libre peut s’appliquer à un nouvel animal apparenté en mentionnant le cas du chevreuil, qui est un animal présent en Europe mais pas en Amérique. Quand les premiers colons européens francophones sont arrivés en Amérique, l’attribution du nom chevreuil au cerf de Virginie n’a guère posé de problème majeur, et s’est d’ailleurs perpétué jusqu’à ce jour. Les spécialistes et ceux qui voyagent fréquemment de part et d’autre de l’Atlantique (groupes auxquels nous pouvons ajouter celui des puristes) feront la distinction et utiliseront les termes exacts, mais elle ne sera pas nécessaire dans la plupart des cas...
Les conséquences des deux dernières parties de l’hypothèse sont aujourd’hui faciles à valider. (La réapparition du doublon n’est pas certaine, on s’entend, mais l’équivalence maringouin-moustique, du moins, l’est aujourd’hui...)
• Éventuellement, le terme moustique réapparaît comme synonyme de maringouin pour l’ensemble ou peu s’en faut de la population québécoise.
• On s’interroge sur le sens d’une phrase d’Antoine Gérin-Lajoie (ici...) :-)
¹ Le terme est très majoritairement utilisé au masculin au Québec, je m’excuse auprès de ceux que ça choquera.