CALCUL
Par une première métonymie datant d’avant le français, le latin avait nommé calculus un caillou servant à compter, d’après l’acception plus large du mot qui signifiait simplement caillou.
Après un détour via calculare, « déterminer par le calcul », le français a déverbalisé le verbe calculer pour en faire calcul, aujourd’hui homonye d’une autre transformation sémantique contemporaine du caillou latin, appliquée aux concrétions solides formées dans un organisme vivant et pouvant mener à diverses complications (calculs rénaux, par exemple).
Le calcul désigne aujourd’hui aussi bien, à divers niveaux d’inclusion et de généralité :
- une opération sur des valeurs
- le résultat de cette opération
- un ensemble de procédés permettant d’établir les opérations
- à un niveau plus familier, on désigne aussi simplement par calcul d’un côté l’arithmétique, d’un autre le calcul différentiel et intégral
Du calcul numérique qui permettrait de prédire l’issue de certains événements (la mise sur orbite d’un satellite artificiel, par exemple), une métaphore (non une métonymie) nous mène au calcul qui est processus de détermination de certains évènements dont les règles mathématiques sont moins sûrement établies (le devenir du cours d’un titre à la bourse, le résultat d’un match de tennis) ou laissées de côté pour une autre méthode déductive (prédiction du temps requis avant qu’un enfant se blesse dans un groupe peu surveillé).
Mais ce calcul qui envisage les effets de manière non-numérique a de nouveau, par métonymie, dérivé vers une nouvelle signification, celle du calcul qui organise les événements et tente de dévier le cours de ceux-ci à son avantage (élaborer, déjouer un calcul).
De ce dernier, par métonymie encore, on désignera par calcul l’attitude ou le comportement d’une personne qui fait ce genre de calcul, terme que l’on pourra plus ou moins opposer à la spontanéité.
L’évolution décrite ici pour ce mot montre un mélange de nouvelles réalités, d’évolution dans l’analyse de comportements (sans pour autant que les comportements soient nouveaux) et de cette tendance naturelle au raccourcissement des termes communément utilisés.
Nouvelle réalité dans l’introduction des opérations mathématiques et de récupération d’un bien naturel et abondant permettant de les effectuer facilement, nouvelle méthode d’analyse numérique dans le cas du calcul différentiel et intégral, généralisation du sens existant dans le cas de procédés généraux d’établissement des règles logiques permettant d’effectuer des opérations.
Évolution dans l’analyse faite du processus d’estimation du résultat d’une séquence évènementielle, car il serait étrange d’envisager l’humain ne supputant pas du devenir en fonction du présent avant l’arrivée de l’arithmétique formalisée.
De façon similaire, il n’est pas vraisemblable que l’humanité ait attendu l’arrivée des mathématiques pour tenter activement de détourner à son avantage les situations, les gens et les biens. On supposera donc que le calcul s’est plutôt incarné comme une dénomination ingénieusement intuitive de ce genre de comportement, si correctement formulée qu’elle aurait porté un sérieux ombrage au terme qui en tenait lieu jusqu’alors.
Quant au raccourcissement, on le retrouvera dans les dénominations plus familières. Quel étudiant en sciences utilisera systématiquement calcul différentiel et intégral ? Lorsque la distinction est importante, il l’utilisera, certes, mais sinon, l’expression est beaucoup trop longue pour le confort.
MIDI
Midi, étymologiquement le milieu (mi-) du jour (di), et ensuite :
- Le nom de douze heures, puis
- L’heure qui suit, avant treize heures
- Du précédent, en Belgique, la pause de travail qui survient alors.
- Dans l’expression C’est midi (sonné) : en référence aux douze coups qui peuvent marquer une limite temporelle, diviser l’avant et l’après, et qui signifie alors qu’il n’y a plus moyen, que c’est impossible.
- Dans l’expression marquer midi, en référence à la position des aiguilles d’une horloge marquant cette heure du jour : être en érection.
- Le sud, la direction où se trouve le soleil en ce temps de la journée, duquel découle
- Les régions du sud d’un pays (le Midi de l’Italie)
- Plus précisément encore, les régions du sud de la France (prendre ses vacances dans le Midi)
- Le milieu d’un évènement temporel marqué d’un début et d’une fin, spécialement
- Le midi de la vie, l’âge du plein épanouissement physique et intellectuel, métonymie dont l’origine pourrait remonter au sphinx qui posa son énigme (Quel être, pourvu d’une seule voix, a d’abord quatre jambes le matin, puis deux jambes le midi, et trois jambes le soir ?), de laquelle découle...
- ...une certaine idée d’apogée, symboliquement proche de ce sommet qu’atteint le soleil au milieu du jour avant d’entreprendre sa descente.
Meridis, midi en latin, a aussi quelques séquences de nouvelles significations :
- L’heure méridienne : midi, d’où
- La méridienne : la sieste que l’on fait vers le milieu du jour, puis...
- Une méridienne : un canapé sur lequel on se repose
- Méridional adj : du sud, de la position du soleil à midi
- Méridional, e n : une personne du sud de la France
- Méridien :
- En astronomie, géographie : chacun des grands cercles de la Terre, perpendiculaires à l’équateur et passant par ses pôles, ainsi nommé parce que le soleil intercepte le méridien local au milieu de sa course quotidienne. Viendra ensuite, s’éloignant de plus en plus du concept de la moitié du jour...
- En mathématiques, plus généralement : intersection d’une surface de révolution et d’un plan par l’axe la générant.
Pourquoi midi aurait-il autant de séquences de nouvelles significations par métonymie ? L’expliquer sans davantage de réflexion et d’étude serait pure conjecture. Une première hypothèse pourrait être que midi est d’une grande importance symbolique dans la vie des sociétés humaines, et ce probablement depuis bien avant l’écriture, et qu’en conséquence il semblerait normal qu’on en discutât davantage et qu’on l’introduisît dans nombre de comparaisons, figures de style et métonymies. Mais il faut encore tester face à la réalité.
Il est intéressant de comparer les différents mots proposés jusqu’à présent :
- Bureau
- Calcul
- Mariage
- Midi
- Plume
Parmi ceux-ci :
- Deux cas émanant d’un objet naturel commun (plume, calcul), un autre inspiré par l’étude de l’alternance du jour et de la nuit, et donc du soleil, élément naturel unique et inaccessible, certes, mais néanmoins d’une extrême importance (midi). On pourra penser que cela leur donne une longueur d’avance sur d’autres termes, qui durent attendre de s’incarner dans l’humanité avant de devenir productif en métonymies successives. En creusant un peu, on pourrait penser à d’autres termes d’entités naturelles ayant généré quelques autres termes par métonymie ou par métaphore. Par exemple, branche, de l’arbre d’abord, puis de l’arbre généalogique, puis d’une discipline quelconque du savoir. Herbe, qui pourra désigner plus spécifiquement celles utilisées en cuisine, ou la marijuana, ou le printemps (aux herbes), de ce dernier l’enfance, ou le début d’un apprentissage. Verge, baguette initialement, puis celle dont on corrige quelqu’un, puis la longueur de celle-ci. Aussi l’organe reproducteur du mâle chez l’humain et les mammifères en général. Un matériau commun apparu il y a longtemps dans les cultures humaines pourrait à la rigueur être assimilé à un matériau naturel, car ayant similairement un long historique linguistique. Nous avons par exemple le cuivre, dont l’étymologie nous indique que l’appelation vient par métonymie de l’île de Chypre, du fait que le cuivre était du bronze de Chypre. Les cuivres désignent aujourd’hui les chaudrons et casseroles d’une cuisine, ainsi que les instruments de musique habituellement fait de laiton. De ce dernier, on passe aussi à la section de tels instruments dans un orchestre, ou au timbre particulier de ce genre d’instrument. On désigna aussi par cuivre une pièce de monnaie faite de cuivre, puis tout type de monnaie.
- Deux qui sont plus ou moins des institutions, légale pour le mariage, économique ou politique pour le bureau. Peut-être le respect qu’impose ce genre d’institution aide à renommer ce qui les entoure ou entoure leur célébration, comme un prénom pourrait devenir populaire d’après une personnalité influente et respectée (Félix serait un exemple de ces dernières décennies au Québec). En suivant ce filon, on pourrait penser à église, le bâtiment spécifique, le lieu général de culte (aller à l’église ne présuppose pas un bâtiment particulier), l’ensemble du monde ecclésiastique et la religion elle-même dans son ensemble. Ou alors à justice, qui est une institution tout autant que le principe morale qu’elle défend ou prétend défendre, ainsi que le résultat de ses jugements (que justice me soit faite) et l’application de ceux-ci (justice fut rendue).
- Deux qui relèvent d’un art qui fut longtemps réservé à une élite (calcul, plume), et un autre indirectement (bureau). Est-ce par la qualité rare de leur maîtrise qu’ils furent productifs en métonymies, ou par la valeur attachée à leur production ? Ou est-ce que l’art lui-même, par ses facettes toujours changeantes et ses visions constamment nouvelles et frappantes, ne fournirait-il pas davantage de possibilités de métonymies ? Observons le théâtre, un art officiellement méprisé pendant longtemps en France (Molière ne put recevoir de sépulture chrétienne). Serait-il lui aussi, en dépit de sa valeur très peu élitiste, susceptible de nous fournir des exemples de métonymies successives ? Premier constat, théâtre lui-même est à la fois l’art, le lieu de représentation, le bâtiment où a lieu ce genre de représentation et le style d’écriture destiné à être ainsi représenté. On pourra ensuite penser à la scène. De celle du théâtre à celle de la vie à celle d’un rassemblement ou d’une manifestation quelconque, puis à celle d’un crime ou d’un désastre humain ou même naturel, il y a toute une série de métonymies. Il semblerait que l’art pourrait être source de ce genre de chaîne de signifiés métonymiques successifs.
En dépit de tout ceci, de ces quelques pistes nous révélant plusieurs chaînes sans devoir fournir un effort trop poussé, je ne trouve pas de trait qui soit commun aux cinq mots initiaux. Ça laisse entrevoir que la métonymie pourrait bien fleurir un peu partout. Est-ce aussi la preuve qu’elle fait naturellement partie de l’esprit humain ? Je ne serais pas loin de le croire.
Je terminerai en citant Henri Suhamy, in Les figures de style, collection Que sais-je ? au Presses Universitaires de France, qui introduit ainsi son affirmation que la métonymie prolifère lorsque survient une spécialisation, pour laquelle de nombreux concepts devront être créés, le rapprochement métonymique étant une méthode simple et naturelle d’exprimer un grand nombre de ces nouveaux concepts :
Les comportements langagiers sont mus par des mécanismes imitatifs, et sans aller jusqu’à imaginer une personnification de la langue et de son génie, on peut affirmer qu’elle agit souvent comme un locuteur collectif animé d’intentions stylistiques. D’autre part, l’exemple typiquement français du mot vin scintillant de mille reflets métonymiques révèle l’aspect ethnologique de la question : on parle à des initiés en leur fournissant sur l’objet du discours des précisions très fines qui remplacent le terme générique.