À la lumière des premiers commentaires et de la première réponse, on peut sentir une certaine perplexité des gens devant ma question : rien ne semble clocher ici selon les intervenants.
Il apparaît donc que ne causerait point d’ambiguïté notable ou de sentiment de maladresse grammaticale la valeur inversée de la mesure astronomique de la magnitude d’un objet céleste (qui décroît à mesure que celui-ci est plus brillant) par rapport à l’acception linguistique habituelle du terme (qui croît avec la grandeur mesurée).
On trouve en littéraire des exemples de l’usage habituel, pour lesquels la magnitude, bien que non-chiffrée, indique une grandeur incontestable. Côté sciences, on trouve aussi une autre échelle de magnitude, croissante celle-ci, et donc plus conforme à l’accpetion commune habituelle : l’échelle de Richter, qui est une mesure de l’énergie libérée par un séisme. Et enfin, la magnitude des objets de l’étude astronomique, celle même de la question, fut parfois indiquée comme « synonyme de grandeur astrale », ce qui entraînera quelques conséquences mineures qui seront exposées plus loin.
En littérature et autres sujets non-chiffrés d’abord :
Les Utopiens recordantz en quel danger iceulx dons admonnestent les hommes de se metre, metent peine que la grandeur du peril soit recompensée, par magnitude & abondance de biens, pourtant prometent ils non seulement gros mouceau d’or, ains terres & lieux de grãd revenu, en endroictz seurs chez leurs amyz, lesquelz ils assignent comme leur propre & a jamais, a ceulx qui font telz actes, & leur tiennent promesse fidelement & entiere.
—La description de l’isle d’Utopie, ou est comprins le miroer des républicques du monde, & l’exemplaire de vie heureuse (1515), (Saint) Thomas More, traduit par Jean Leblond et publié en français en 1550
Je débouche la bouteille de Vat 69 — les seules boutanches dont on ne reconnaisse pas le cul du goulot — et toute affaire cessante m’en transfuse un gorgeon de première magnitude
—Nous avons les moyens de vous faire parler (1975), Patrice Dard
Pour n’avoir rien de comparable comme magnificence, comme magnitude, comme capacité aux théâtres de Rome qui étaient immenses, et à ceux de quelques-unes des villes principales de l’Italie et du monde romain, le théâtre de la vallée de la Vonne n’était point ce qu’on pourrait appeler un petit théâtre.
—Monuments gallo-romains de la vallée de la Vonne (Vienne), 1884
À l’est, les deux pics ardus qui précédaient la Sierra Paricis se déployaient dans toute leur magnitude.
—Les baleiniers (1859), Alexandre Dumas
On notera que si l’on désirait chiffrer le second exemple, on se retrouverait exactement dans le cas de la magnitude astronomique traitée dans la question, avec les mêmes conséquences. On pourrait même substituer classe à magnitude et conserver le même effet. Je laisse au lecteur le soin de juger du bon sens d’une telle tournure :
- [...] et toute affaire cessante je m’en tranfuse un gorgeon de moins cinquième, moins sixième magnitude, voire moins.
Passons maintenant à la magnitude sismique. L’exemple suivant, bien qu’ayant pour but d’expliciter les effets de la nature logarithmique de l’échelle de Richter, indique néanmoins pour se faire la nature directe (et non inverse) des accroissements respectifs de la magnitudes et des effets du séisme :
L’échelle de Richter mesure la magnitude : l’échelle de Mercalli, l’intensité, c’est-à-dire les effets de surface, destructeurs. L’échelle de Richter est logarithmique, c’est-à-dire qu’un accroissement de la magnitude dans l’échelle se traduit par un accroissement des effets proportionnel aux effets déjà observés. Il y a effet d’accélération.
—Hérodote : stratégies, géographies, idéologies (1982), dirigé par Yves Lacoste
Et finalement la magnitude visuelle des étoiles, qui traite directement des magnitudes des objets célestes, liant parfois magnitude et grandeur ou éclat, au prix d’une explication (parfois absente) pour définir clairement la nature numérique particulière de la magnitude d’un astre :
L’éclat apparent d’une étoile est apprécié, aujourd’hui, par sa magnitude, terme synonyme de grandeur astrale.
—Revue belge, 1931
Affirmation qui demanderait à être amendée par une longue explication, que fournira l’exemple suivant :
Éclat. Grandeur ou magnitude. — L’éclat d’une étoile, qui caractérise l’impression plus ou moins intense qu’elle produit sur l’œil est défini par le flux lumineux que cette étoile envoie sur l’unité de surface, passant par l’œil de l’observateur et normale aux rayons venant de l’étoile. On peut dire aussi que c’est l’éclairement produit par la lumière de l’étoile sur la surface que l’on vient de considérer.
Les astronomes ont l’habitude de caractériser l’éclat d’une étoile par une donnée, qui dérive conventionnellement de l’éclat, et qui est désignée par les mots : grandeur ou magnitude, avec cette particularité que la magnitude diminue quand l’éclat augmente. Par définition, les magnitudes croissent en progression arithmétique quand les éclats décroissent en progression géométrique, et, par convention, entre deux étoiles dont les éclats sont entre eux dans le rapport de 100 à 1 il y a me différence de 5 magnitudes.
—Bureau des longitudes, 1974
D’une classification ordinale à un continuum
Les anciens, en compartimentant les étoiles en des classes de valeurs entières dont la première est la plus importante, suivaient un raisonnement dont on retrouve de nombreux exemples dans la langue :
- la première classe dans le transport ferroviaire ou aérien ;
- le premier ministre ;
- de premier choix ;
- premier de classe ;
On pourrait voir l’une des inspirations de ces figures dans l’idée que la première étape d’un projet, d’une recette, etc. est celle à laquelle on doit s’attaquer de prime abord, avant de pouvoir passer aux suivantes.
Nous avons aussi, étymologiquement, priorité qui nous viendrait de primauté de rang.
On notera aussi le soin de corriger la perception désavantageuse généralement accordée à ceux qui suivent le premier dans l’expression courante :
- Le (second / troisième / quatrième / dernier) mais non le moindre.
Je note aussi en passant l’exemple des brûlures, où celles du premier degré sont les moins graves, et qui suit donc une logique inverse. La langue n’est pas un phénomène monolithique, et elle procède de différentes manières, ce qui donne parfois des résultats qui peuvent sembler antithétiques.
Passer d’une classification discrète (utilisant des nombres entiers) ordinale et bornée à un continuum ouvert aux deux bouts, comme on le fit pour la magnitude en astronomie, est un processus risqué qui ne s’accomplit pas nécessairement sans soubresauts. Quand la valeur d’une grandeur (habituellement, on pourra déclarer grandeur et magnitude synonymes, ce que je sous-entends explicitement ici) se met à diminuer à mesure qu’augmente ladite grandeur, on peut se retrouver dans une situation linguistique paradoxale, à un synonyme près de quelque chose comme :
- À mesure qu’augmente la magnitude de l’éclat d’une étoile, sa magnitude diminue.
Un exemple apparenté à celui de la question
On a cité dans la première réponse soumise un exemple avec le pKa d’un acide, qui diminue à mesure qu’augmente la force de l’acide, et dont la valeur est négative pour les acides très forts.
Ces acides sont extrêmement forts, avec des pKa de -4, -6 et même moins. L'acide le plus fort a un pKa de -25 alors que le pKa de l'acide sulfurique est de 1,99.
Il semble bien ici que ce soit un exemple typique de ce qui est critiqué dans la question, et en ce il semble très approprié de le citer. Je note malgré tout deux très légères différences :
- Le pKa n’est pas un mot de la langue courante attribué plus tard à une grandeur scientifique. S’il est possible au néophyte de se méprendre quant à la nature numérique de l’échelle citée, il ne le fera jamais en extrapolant de sa connaissance linguistique du terme. Cette possibilité n’est pas exclue quand un terme comme magnitude est utilisé (quoique les deux exemples proposés laissent peu de place à la mésinterprétation, d’autres exemples plus ambigus sont possibles).
- On n’est pas passé d’une échelle ordinale à un continuum en créant la mesure du pKa. Le concept a été créé au XXe siècle à partir de mesures précises et contrôlées, et l’échelle fut d’emblée étalonnée en fonction des données numériques obtenues, au contraire de la classification moins rigoureuse héritée de l’Antiquité pour les magnitudes stellaires.
Les classements sportifs
Supposons que l’on cherche à prédire le classement futur d’un jeune athlète prometteur commençant à faire sa marque dans un sport. Je pourrais concevoir quelque chose comme :
- Il se hissera certainement dans le top 20 d’ici l’an prochain, et très vraisemblablement au-delà dans les prochaines années.
Mais en dépit qu’au-delà du top 20 se trouvent les positions moindres numériquement, une affirmation comme la suivante me semble inconcevable :
- Elle progressera sans nul doute jusqu’au top 20 avant la fin de l’année, et possiblement bien moins.
Jasons météo
jlliagre, toujours rempli d’ingéniosité, a réussi à dénicher un témoignage frappant avec les températures, qui varient entre les froids hivernaux en degrés négatifs et les chaleurs estivales en degrés positifs :
« Ç’a démarré le 2 février, le jour de la foire du Petit-Madieu. Le vent du nord a commencé à souffler pendant plusieurs jours. C'était encore pire qu’aujourd'hui. Les températures étaient descendues à moins 20 degrés, voire plus. »
—Source
Plus de -20, ça va habituellement vers -19 et les autres valeurs moins négatives que -20, donc généralement vers 0 et l’ensemble des températures positives, ce qui semble incompatible avec l’idée qui semble ici avancée que le froid était si intense que -20 est une estimation prudente du froid qui s’abattit sur la région.
Il convient alors de comprendre que ce qui augmentait était la DESCENTE DE LA TEMPÉRATURE : les thermomètres avaient descendu jusqu’à moins 20, et peut-être encore PLUS BAS que ça.
Je constate avec cet exemple que le contexte nous informe si bien de ce qu’il faut comprendre que même en substituant moins à plus, nous avons encore la même affirmation :
« Ç’a démarré le 2 février, le jour de la foire du Petit-Madieu. Le vent du nord a commencé à souffler pendant plusieurs jours. C'était encore pire qu’aujourd'hui. Les températures étaient descendues à moins 20 degrés, voire moins. »
Peut-être que cette version plairaît davantage aux gens portés aux mathématiques, et moins à ceux que les nombres embêtent et qui ont plus tendance à juger de la grandeur d’un nombre en évaluant sa valeur absolue. On ne saurait contenter tout le monde.
Conclusion
Je dois admettre ne pas avoir de conclusion à offrir. Je suis confus, tiraillé par les justes arguments de gens qui ne voient rien de mal à la tournure, au point qu’ils ne discutent même pas de la possibilité qu’elle puisse être étrange, et ma perception initiale, qui me semble elle aussi recevable.