Comme l'écrivait déjà Louis Meigret en 1530 :
Nous écrivons un langage qui n'est point en usage, et usons d'une langue qui n'a point
d'écriture en France. Cité par Bernard Cerquiglini, L'accent du souvenir, 1995.
On peut en effet dire, en première approximation, qu'il existe aujourd'hui deux langues françaises, la langue écrite, conservatrice, normée, enseignée à l'école, ayant peu évolué depuis XIVe siècle et la langue parlée qui s'en éloigne, plus flexible et variée. On peut aussi considérer qu'il y a deux langues parlées. La première reste rigide et correspond directement à l'écrit. C'est celle de la lecture, de la récitation, des discours officiels, du texte lu au prompteur par les journalistes alors que la deuxième est la langue utilisée spontanément dans la vie de tous les jours. Réciproquement, cette dernière peut être écrite, par exemple dans des messageries instantanées, twitter, les SMS (textos), dans les forums de discussions, etc.
Certains locuteurs francophones ne sont pas conscients de cette dualité, et considèrent à tort que seule la langue écrite est la langue correcte et donc que la langue parlée spontanée est plus ou moins incorrecte, voire « fausse ».
La langue « écrite parlée » met en évidence le caractère peu phonétique du français écrit puisque de nombreuses lettres ne correspondent à aucun son et qu'ils faut connaître « par cœur » la prononciation de certains mots, ou choisir la prononciation correcte en fonction du contexte. Parmi les langues voisines du français, seul l'anglais nous « surpasse » dans ce domaine.
La langue écrite comporte de nombreuses règles et conventions qui n'ont pas de sens à l'oral. La plupart des pluriels ne s'entendent pas sauf en cas de liaison ou de pluriel spécifique (chevaux), les terminaisons homophones ou proches qui sont la source de nombreuses fautes à l'écrit (par exemple : -ais, -ait, -ai, -aie, -er, -é, -et) n'ont pas d'effet sur la prononciation.
Dans la langue « parlée parlée », la prononciation est souvent simplifiée par rapport à la prononciation du français écrit. C'est par exemple le cas :
- de maintenant, dont le T s'amuit fortement et se transforme en N pour arriver à la prononciation courante « main'nant » avec gémination du N : /mɛ̃nnɑ̃/
- des pronoms personnels je, tu devant voyelle, il(s) et elle(s) transformés respectivement en :
— ch' : je sais bien → ch'ais bien;
— t' : tu as raison → t'as raison;
— y : Il part → Y part;
— è : Elle ne vient pas → È vient pas.
Il devenu y se confond avec le pronom y qui suit dans l'expression il y a qui devient donc à l'oral y'a.
La grammaire du français parlé présente aussi quelques différences significatives.
Les phrases interrogatives qui ne font quasiment jamais appel à l'inversion verbe-sujet :
Y vas-tu ? → Est-ce que tu y vas ? → "Eske" t'y vas ?
Y vas-tu ? → Tu y vas ? → T'y vas ?
La première personne du pluriel a disparu, remplacée par la troisième personne du singulier :
nous partons → on part.
Le ne de la négation a disparu :
Je ne veux pas → Ch'veux pas
Le remplacement du passé simple par le passé composé :
Il naquit à Ajaccio → Il est né à Ajaccio.
Le passé simple disparaît aussi à l'écrit, mais plus lentement.
La rareté des appositions :
Tout en conduisant, il téléphone → il téléphone en conduisant / il téléphone au volant
Le doublement sujet-pronom plus fréquent :
Laure a raison → Laure, elle a raison.
Le français écrit ne garde pas la trace des hésitations, des corrections, des reprises de phrase, trace normalement supprimée quand on passe du brouillon au document final alors qu'il est impossible de faire de même à l'oral. Ceci n'est bien sûr pas spécifique au français.
Les autres points cités dans la question (cimer, moula, condé, etc.) posent des problèmes à un apprenant mais peuvent poser les mêmes à un francophone peu familier avec le sociolecte auquel appartiennent les expressions rencontrées. Le vocabulaire n'est pas ce qui caractérise le plus une langue. Il peut varier plus ou moins significativement en fonction de la population ou des modes sans changer fondamentalement une langue. Malgré l'omniprésence de mots français en anglais, personne ne conteste le caractère germanique de cette langue.
Il ne faut finalement pas sous-estimer la composante individuelle, que ce soit dans la langue écrite où chaque écrivain ou rédacteur a son propre style, sa liberté d'écriture et la langue parlée où chaque locuteur a lui aussi sa ou plutôt ses langues parlées, qu'il va adapter en fonction de ses interlocuteurs, de son humeur, de l'endroit où il se trouve, etc. Il n'existe donc pas deux langues françaises, mais des continuums de langues et de registres dont chacun d'entre nous, avec plus ou moins de bonheur, est dépositaire.