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[...]
Le Renard dit au Loup : Notre cher, pour tous mets
J'ai souvent un vieux Coq, ou de maigres Poulets ;
C'est une viande qui me lasse.
Tu fais meilleure chère avec moins de hasard.
[...]
[ Le Loup et le Renard, (Livre XII, fable 9) Jean de La Fontaine ]

Peut-on expliquer pourquoi l'adjectif possessif de la première personne du pluriel (nous) est employé par le renard1 ?


1 On se rappellera qu'un autre renard s'est déjà adressé à un corbeau en ces termes, après lui avoir ravi son fromage : « [...] Mon bon Monsieur, / Apprenez que tout flatteur / Vit aux dépens de celui qui l'écoute. / Cette leçon vaut bien un fromage sans doute. ». Ce renard-là a employé l'adjectif possessif au singulier.

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Une autre1 interprétation que le nous de majesté, considérant que le thème de la fable est :

Certain Renard voulut, dit-on,
Se faire Loup.

serait que notre cher indique que le renard parle au nom d'un groupe, sous entendant que lui et le loup font partie de la même communauté. Ce nous inclusif signifierait alors :

Tu es des nôtres, je suis des tiens.

Une source allant dans le même sens :

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Marcel Gutwirth, Un merveilleux sans éclat : La Fontaine ou la poésie exilée, 1987

1 Pas nécessairement en contradiction avec elle. La Fontaine a très bien pu jouer sur les deux sens, les associer.

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  • +1 car, à l'appui de ta lecture (qui n'est pourtant toujours pas la mienne) on peut lire plus bas une 1ps explicite (J'approche des maisons) au lieu d'un nous approchons pour rester conséquent.
    – MC68020
    Oct 17, 2019 at 17:21
  • 1
    Pourquoi pas:: Notre cher [ami], dans le sens que le renard appartient à un groupe? Les renards et les loups, ça ne fait pas deux. Autrement dit, " vous les loups " sont " nos chers " [amis], sarcasme. –
    – Lambie
    Oct 19, 2019 at 19:00
  • @sinopleincandescent Pourquoi en anglais? Je suis parfaitement capable de l'écrire en français...mais il parait que vous avez déjá fait votre choix.
    – Lambie
    Oct 20, 2019 at 14:31
1

[ni locuteur natif ; ni spécialiste]

Je crois que c'est un cas appartenant au dit "nous de majesté" (voir ici : https://fr.wikipedia.org/wiki/Nous_de_majesté)

LE LION MALADE ET LE RENARD

        Que Sa Majesté nous dispense :
        Grand merci de son passeport.
        Je le crois bon; mais dans cet antre
        Je vois fort bien comme l'on entre,
        Et ne vois pas comme on en sort.

https://en.wiktionary.org/wiki/nous_de_majest%C3%A9

nous de majesté m (uncountable)

royal we, majestic plural (plural used by a sovereign) Nous, Lion, Roi des Animaux, décrétons : Afin que la paix règne parmi tous nos sujets, il sera désormais expressément défendu de se manger les uns les autres. (We, Lion, king of the beasts, decree: so that peace may reign, our subjects are forbidden to eat each other.) (The Tale of the Fox, 1930)

NB

Voir aussi les commentaires de @aCOSwt

Le renard est ici (contrairement à l'autre fable) le Duc de Bourgogne. (cf haut de page droite du lien de l'OP) (qui ne crachait pas sur le nous de majesté)

and

On a encore une confirmation en toute fin : "Prince, ma Muse tient tout entier ce projet : Vous m'avez donné le sujet, Le dialogue, et la morale."

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  • 1
    L'expression « notre cher » n'apparait pas dans cette fable, ni associée à l'être qui a le titre de majesté (le lion), ni même dissociée de celui-ci. Le texte de cette fable n'est donc pas une preuve que le titre entraine l'appellation « notre cher ». En plus de cela, dans la fable du renard et du loup il n'est pas question de la majesté du loup, les deux caractères se tutoient, et jamais dans la littérature du passé on n'a trouvé un cas où quelqu'un avec le titre de majesté aura été tutoyé.
    – LPH
    Oct 17, 2019 at 11:32
  • Je suis assez d'accord avec LPH, le mélange à quelques lignes d'intervalle d'un "nous de majesté" et du tutoiement est étrange. Je ne vois par contre pas de meilleur explication, mais je dois bien avouer que la lecture des fables de La Fontaine n'est pas un exercice anodin pour moi non plus, même natif...
    – Laurent S.
    Oct 17, 2019 at 14:00
  • Autre remarque, selon moi l'exemple du "lion malade et le renard" n'est pas représentatif: je pense que le "nous" est ici bien la 1ière personne du pluriel, mais peut-être que j'interprète mal la fable...
    – Laurent S.
    Oct 17, 2019 at 14:03
  • @LPH serait-il mieux que j'efface la réponse ?
    – Dimitris
    Oct 17, 2019 at 14:06
  • 1
    @Dimitris > Que ce soit pour la validation des réponses à l'une de tes questions ou la suppression de l'une de tes réponses, je ne me précipiterais pas. A l'heure actuelle il n'y a que 2 intervenants sur ta réponse donc sa suppression me paraît prématurée même si LPH et moi semblons du même avis.
    – Laurent S.
    Oct 17, 2019 at 14:26
1

À titre de complément, on peut aussi observer que l'emploi de notre permet d'avoir l'alexandrin. D'autre part, ça m'a fait penser que dans la prière chrétienne Notre Père on trouve aussi ce prototype pluriel (Notre Père...) singulier (ton nom..., quoique aussi votre mais ce n'est pas directement un phénomène linguistique ; par ailleurs pas d'adjectif au singulier avec Je vous salue Marie) autrement que dans le contexte de la familiarité (Père/Marie, cher) ; qui sait si de La Fontaine ne s'appuie sur le tour pour y connoter flatterie ou « soumission », thèmes familiers chez cette créature. Ailleurs en commentaire on a évoqué le sous-groupe et l'ellipse présumée du nom « ami », une variation intéressante sur un thème étayé dans une autre réponse. Similairement, personnellement j'interprète ici l'emploi de l'adjectif possessif au pluriel comme une forme de déférence envers l'auditoire permettant de centrer l'attention de tous sur le sujet, dans une fable où le narrateur s'était exprimé très directement tout juste avant, de surcroît à quelqu'un d'autre qui fait partie de l'auditoire à qui l'on propose cette histoire...

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