Quelques remarques préliminaires :
Le comportement d'avec décrit dans la question n'est pas unique à cette préposition, mais propre à une classe assez large de prépositions qui comprend avec, sans, contre, derrière, après, sur, dans/en et sous (sous leurs formes fortes dessus, dedans et dessous), par dessus ou encore entre. On peut rapprocher ce comportement à celui de certaines préposition complexes locutions prépositionnelles qui permettent une transformation similaire (il y avait des gens autour de Saïd -> Saïd, il y avait des gens autour // elle est passé à travers de la barrière -> la barrière, elle est passée à travers). Pour est parfois groupé avec les prépositions de ce type, mais son emploi est plus restreint (Authier 2016).
La description de ce phénomène comme "en fin de phrase" est trop limitée: une préposition peut apparaître seule partout où un groupe prépositionnel peut apparaître: "tu vas pas partir avec (elle) quand même ?"; "Avec (lui dans l'équipe), on est invincibles !" Les termes couramment utilisés pour décrire ces prépositions dans la littérature sont "prépositions sans objet", "l'emploi absolu des prépositions" ou "les prépositions orphelines" (Zribi-Hertz, 1984). Je vais surtout employer ce dernier terme (ou son abbréviation PO), qui est le plus court.
Les traditions grammaticale classique parle d'emploi adverbial des prépositions. C'est une description qui peut convenir avec des prépositions purement locatives comme autour, mais une étude plus attentive de leur usage révèle immédiatement beaucoup de problèmes avec une interprétation adverbiale. Par exemple, "Un travailleur que je travaille avec" devrait être totalement acceptable si avec était un adverbe. La plupart des linguistes analysent plutôt les prépositions orphelines comme intégrant quelque chose de pronominal, conceptualisé différemment selon les cadres théoriques (une trace, un pronom silencieux, un pronom absorbé dans la préposition, etc) et qui servent d'argument à leur verbe. On peut voir le plus clairement la trace de ce quelque chose pronominal dans la transformation sur ça -> là-dessus. Je vais parfois utiliser la notation [avec PRO] (PRO étant un pronom silencieux) parce qu'elle est la plus claire, mais sans particulièrement soutenir cette interprétation théorique.
Pour en venir à la chair de la réponse, les prépositions orphelines sont gouvernées par un certain nombre de restrictions :
Les prépositions orphelines peuvent être utilisées dans tous les cas où un pronom défini pourrait être employé comme leur objet : J'en ai parlé avec (elle) ; ils voulaient le réparer avec (ça), etc. Avec un pronom indéfini, cet usage est bloqué : "T'es revenu avec quelqu'un alors ?" et "T'es revenu avec alors ?" ont des sens différents.
Certaines prépositions ne peuvent être orphelines que dans certains dans leurs sens, mais ce n'est pas le cas de avec, simplifiant fortement cette réponse (Authier 2016).
Dans le cas d'avec en particulier, les dialectes diffèrent par la personne du pronom sous-entendu : la plupart n'admette l'avec orphelin qu'à la troisième personne, alors que le français de Belgique en particulier (et le français de l'Est de la France, mais de manière plus restreinte) accepte certains usages aux autres personnes : "ils sont venus avec (nous)", "tu les a pris avec (toi) ?", mais pas tous ("tu veux sortir avec (lui) ?" est acceptable pour moi, mais pas "tu veux sortir avec (moi) ?" dans son sens non-spatial)
Des expressions lexicalisées comme "faire avec" peuvent passer outre de cette restriction, cependant: "Je viens de toute façon, il n'auront qu'à faire avec". On pourrait analyser avec comme ayant un (moi/ma présence) sous-entendu, mais également comme étant une expression figée dont l'élément pronominal a disparu.
Finalement, qu'est-ce qui rend "Un collaborateur que je travaille avec" non grammatical ? J'ajouterai immédiatement que "Qui je travaille avec ?" présente le même problème, et que comparer les deux phrases devrait nous offrir la clé du problème : elles impliquent toutes les deux le mouvement d'un élément pronominal en tête de phrase (par rapport à leur équivalent déclaratif principal "je travaille avec (lui)"): le pronom relatif que et le pronom interrogatif qui
Or, contrairement à l'anglais (I work with them -> who do I work with ___ ?), le français n'admet pas l'extraction d'un élément pronominal hors d'un groupe prépositionnel. Si le pronom se déplace, c'est tout le groupe qui le suit :
Je travaille avec cet homme -> cet homme, je travaille [avec PRO]
l'homme avec qui (=PRO+relatif+animé) je travaille
Je travaille avec qui (PRO+question+animé) ? -> avec qui (est-ce que) je travaille ?
Des phrases comme "qui je travaille avec ?" soit auraient deux éléments pronominaux (qui et "avec PRO"), soit auraient extrait l'élément pronominal hors de avec PRO, ce qui est impossible en français.
Cependant, des phrases avec une syntaxe similaire à "Un collaborateur que je travaille avec" sont bien attestées en Europe comme en Amérique, (quoiqu'elles semblent être relativement rares quand l'objet sous-entendu de la préposition est animé), par exemple "Ma gonzesse, celle que je suis avec. Ma princesse, celle que je suis son mec" dans la chanson de Renaud Ma Gonzesse.
De telles phrases sont plutôt stigmatisées, mais on peut les analyser comme appartenant à un autre type de relative que celles plus standards comme "Le collaborateur avec qui je travaille".
Le français a trois stratégies en compétition pour former des subordonnées relatives :
la personne dont je parle : La standard, qui utilise un pronom relatif (ici dont) qui change de forme selon son rôle dans la subordonnée, ainsi que la spécificité et le caractère animé de son référent
La personne que je parle : une des deux formes populaires, dans laquelle un pronom relatif universel que est utilisé quel que soit son cas ou la nature du référent
La personne que j'en parle / que je parle d'elle : l'autre forme populaire (moins négativement marquée à mon sens), qui utilise un marqueur relatif que (qui n'est pas ici un pronom) et un pronom de reprise dans la subordonnée qui a une forme identique à celle qu'elle aurait en tant que proposition principale.
En transposant "le collaborateur avec qui je travaille" à ces trois stratégies, on obtient :
Le collaborateur avec qui je travaille ("qui" étant le pronom relatif prépositionnel animé, qui a entraîné avec avec lui)
Le collaborateur que je travaille (que est le pronom relatif universel)
Le collaborateur que je travaille avec PRO (que est le marqueur relativiseur, avec PRO est l'élément de reprise pronominal).
Ce qui explique l'émergence occasionnelle de relatives contenants des préposition orpheline en français relaché.
Bibliographie:
AUTHIER J.-Marc, French orphan prepositions revisited, 2016
BORILLO Andrée, "Il y a prépositions et prépositions", Travaux de linguistique, vol. 42-43, n° 1, 2001, pp. 141-155.
GODART D. Français standard et non-standard : les relatives, 1989
POPLACK Shana et al., Phrase-final prepositions in Quebec French: An empirical study of contact, code-switching and resistance to convergence, 2012
ZRIBI-HERTZ Anne, Prépositions orphelines et pronoms nuls, 1984