Que de fois je suis remonté du pansage et tout seul sur mon lit, pris
d’un immense désespoir, j’ai malgré mes dix-sept ans pleuré comme une
première communiante. Alors j’ai senti que j’étais vide, que mon
énergie était de la gueule et qu’au fond de moi-même il n’y avait
rien, que je n’étais pas un homme - je m’étais trop longtemps cru tel,
peut-être beaucoup comme moi avant l’âge, peut-être beaucoup le
croient encore quoique plus vieux, et en de mêmes circonstances
sentiraient aussi leurs cœurs partir à la dérive comme une bouteille à
la mer, ballotté par la vague les injures et la croyance que cela ne
finira jamais - alors là vraiment j’ai souffert aussi bien du mal
présent que de mon infériorité virile et de la constater. J’ai senti
que les grands discours que je tenais un mois plus tôt sur l’énergie
juvénile n’étaient que fanfaronnade et qu’au pied du mur je n’étais
qu’un malheureux transplanté ayant perdu la moitié de ses facultés et
ne se servant de celles qui restent que pour constater le néant de
cette énergie. (…) Au fond de moi-même je cache un fond d’orgueil qui
me fait peur à moi-même, je veux dominer non par un pouvoir factice
comme l’ascendance militaire mais je veux plus tard ou le plus tôt
possible être un homme complet, le serai-je jamais, aurai-je la
fortune nécessaire pour avoir cette facilité d’agir qui vous permet de
vous éduquer.
[ Céline, Casse-pipe (« Carnet du cuirassier Destouches »)
(Gallimard, 1970) à la page 112, je
souligne. ]
Du sens de « bouche humaine » de gueule vient un sens extensif, populaire, pour « visage, figure » au 16-17e s. avec des emplois non péjoratifs comme belle gueule etc. ; début 20e on a l'extension « forme, aspect (d'un objet) », comme dans avoir de la gueule1, « de l'allure » (Dictionnaire historique de la langue française, sup. A. Rey, Robert). Ailleurs on a présenté d'autres emplois familiers ; on se souvient par exemple de fine gueule2, pour le gourmet.
En ajoutant le contexte et l'emploi de fanfaronnade plus loin dans le texte, je lis ça comme « de la frime » ou quelque chose de superficiel, une apparence extérieure, le « visage » voire la « bonne figure » d'une chose/personne, surtout quand c'est opposé à son « fond ».
Mais à mon avis il n'y aurait ni locution ni d'ellipse de la particule ne ou de que, mais simplement un sens étendu et familier du mot gueule, ce qui s'analyserait comme un attribut de l'énergie, voire son origine ou type. En effet, je peux percevoir aussi la formulation comme créant l'origine (en provenance de... la gueule, par opposition au... ventre ?). J'ai aussi trouvé dans une traduction et ce n'est pas du tout déterminant mais ça influence certainement ma réflexion « [...] that what I took for energy was only my big mouth [...] » même si Céline n'avait pas employé le possessif.
1 De registre familier (Robert en ligne, Larousse en ligne, L'OBS), ou populaire Wiktionnaire ; Ac.9 non marqué pour des objets parmi des emplois qui le sont ; voir aussi Wordreference. Exemple : "Tandis que si vous annoncez « le général de Lèchefrite, ancien ambassadeur », ou le « marquis de la Lèchefrite, officier d'académie », ça vous a de la gueule !... Pas, Mélanie ?" (Guy de Téramond, « La Petite Maud » au Wiktionnaire).
2 Découlant essentiellement du sens de bouche pour gourmandise puis par métonymie le gourmand, à la fin du 19e (DHLF) : « Aussi fine gueule qu’Huysmans, Mirbeau considérait celui-ci comme un vieil enfant quinteux, petit-bourgeois et perdu dans son miroton et le Syllabus. » L. Daudet (au Wiktionnaire à fine gueule).