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Extrait d'un roman de Georges Bernanos, Le Journal d'un curé de campagne

Dieu sait que je voudrais donner pour rien, avec mon temps et ma peine, les tapis de coton, les draperies rongées des mites, et les cierges de suif payés très cher au fournisseur de Son Excellence, mais qui s’effondrent dès qu’on les allume, avec un bruit de poêle à frire. Seulement les tarifs sont les tarifs : que puis-je ?
– Vous devriez fiche le bonhomme à la porte, m’a-t-il dit. Et, comme je protestais :
– Le fiche dehors, parfaitement ! D’ailleurs, je le connais, votre Dumonchel : le vieux a de quoi... Sa défunte femme était deux fois plus riche que lui, – juste qu’il l’enterre proprement !

L'occurrence du premier « fiche » ne détourne pas de la lecture bien longtemps, on pense rapidement à une erreur de mise page ; la raison est toute simple : on attend un infinitif après « devoir » et donc il faudrait « Vous devriez ficher ». Cependant, une récidive dans la phrase suivante vient vite détruire l'idée d'avoir aplani la difficulté. C'est une phrase sans sujet, il lui faut bien un verbe, le seul candidat pour cette fonction ne pouvant être que « fiche » et ce n'est toujours pas un infinitif.

Chose bizarre lorsqu'on commence à vérifier des références, on trouve que certains parlent du verbe « se fiche » et pas du tout de « se ficher », alors que le TLFi n'a que « ficher » dans ses entrées principales. En examinant les sous entrées on s'aperçoit que l'infinitif est bien « fiche » dans beaucoup de cas. Comment expliquer que cette anomalie ait été acceptée et non rejetée de façon à ce que les désinences soient conformes à l'usage (Par exemple le TLFi mentionne « ficher » en tant qu'entrée et « fiche » n'est qu'un second choix dans le corps de cette entrée) ?

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  • 5
    Does this answer your question? "Qu'est-ce que j'en ai à fiche" : correct or not?
    – jlliagre
    Commented Apr 5, 2023 at 8:49
  • @jlliagre Vous ne voyez pas que ça n'apporte pas de réponse à cette question ? Non, il n'y a pas de réponse.
    – LPH
    Commented Apr 5, 2023 at 9:21
  • 1
    La réponse d'Eau qui dort est la meilleure qu'on puisse donner à cette question.
    – jlliagre
    Commented Apr 5, 2023 at 10:02
  • 2
    Il n'est pas question de tolérance, on adopte ou pas les choses parce que c'est la norme de fait, parce que les autres le disent et que ça nous va, pas parce que c'est logique ou que l'Académie ou autres souhaiteraient autrement. L'infinitif fiche a probablement commencé comme une mode, un trait d'humour qui a plu et s'est imposé au XIXe siècle puis au XXe.
    – jlliagre
    Commented Apr 5, 2023 at 10:36
  • 1
    @guillaume31 Un linguiste dont il n'y a aucune raison de se méfier a déjà donné son avis et il s'agit précisément d'Eau qui dort.
    – jlliagre
    Commented Apr 5, 2023 at 15:40

5 Answers 5

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Comment expliquer cette anomalie ?

Le verbe fiche ne comporte pas de R à l'infinitif quand il est utilisé comme euphémisme pour foutre.

Une hypothèse serait de dire que cet infinitif singulier permet de marquer la distinction avec les deux autres verbe ficher (planter et mettre sur fiche).

Une autre serait une proximité phonétique plus grande avec foutre, qui comme fiche n'a qu'une syllabe et se termine par un E muet.

Une troisième serait éventuellement l'évitement d'une confusion phonétique entre l'hypothétique rien à ficher et rien affiché.

Une quatrième serait un parler régional qui se serait imposé.

On pourrait encore sûrement formuler d'autres hypothèses, mais la vraie raison pour laquelle on dit rien à fiche est justement que ça se dit comme ça.

Une langue vivante n'est pas comme les mathématiques, quelque chose qu'on apprend en suivant des règles rationnelles et qui se tiennent. Un locuteur natif apprend une langue simplement en répétant et extrapolant ce qu'il a entendu. L'usage s'impose à la grammaire, pas la logique.

https://bescherelle.ca/verbe-se-fiche/

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  • Non, ce n'est pas aussi strict que les mathématiques, mais quand même, on parle tous à peu près de la même façon parce qu'un système ne cesse pas de nous rappeler des normes, des règles qui sont assez rigoureuses. Une question plus précise serait « Comment cette forme a-t-elle échappé aux forces d'uniformisation habituelles ? ».
    – LPH
    Commented Apr 5, 2023 at 0:24
  • 1
    L'usage s'impose au système et non l'inverse, sinon, on parlerait encore la bas-latin.
    – jlliagre
    Commented Apr 5, 2023 at 7:19
  • Mais non, mais non, il n'est pas question de votre principe unique : on le voit très bien actuellement, c'est le système qui décide que l'on ne dit plus les mots « auteur », « professeur », etc. en parlant d'un auteur femme, etc., mais « autrice », « professeure » etc., et les gens ont commencé tout d'un coup à ne plus parler comme ils le faisaient et ont changé leur langue pour parler exactement comme cela leur a été indiqué.
    – LPH
    Commented Apr 5, 2023 at 7:37
  • Il n'existe pas de « forces d'uniformisation habituelles ». Les évolutions peuvent aller dans un sens d'uniformisation ou au contraire de diversification. Ce fameux verbe ficher n'est rien d'autre qu'une évolution du verbe fixer, tout le contraire d'une uniformisation donc.
    – jlliagre
    Commented Apr 5, 2023 at 8:45
  • Rien ne se passe « tout d'un coup », les évolutions suivent les lois de la sélection naturelle et sont le plus souvent lentes. Elles peuvent avoir des origines diverses, mais le « système » comme tu dis, ne peut rien imposer. Toutes sortes de sources et de références, des films, des pièces de théâtre, des livres, des humoristes, des hommes politiques, des locuteurs d'autres langues, etc. peuvent être à l'origine d'une évolution potentielle mais c'est l'usage qui a toujours le dernier mot.
    – jlliagre
    Commented Apr 5, 2023 at 8:45
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Par la prémisse « Extrait d'un roman de Georges Bernanos, Le Journal d'un curé de campagne », j'en comprends que les protagonistes vivent à la campagne.

Ne serait-ce pas là la volonté de l'auteur de répercuter ce contexte dans leurs paroles ? Je ne connais pas le roman, mais j'ai entendu à la campagne de tels propos de la forme « faudra le fiche ailleurs ». Une façon détournée de ne pas utiliser « foutre » comme il est d'usage au Québec de transformer les mots de sacre par des supplétifs. Et si on remplace le premier par le deuxième, ça sonne bien plus commun, n'est-il pas ?

C'est d'ailleurs la première explication du TLFi : Fam., supplétif euphémique de foutre.

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  • La question est posée dans le but de savoir pourquoi il existe un verbe du [premier groupe, « ficher », qui n'a pas un, mais deux infinitifs ; je ne connais cette particularité pour aucun autre verbe du premier groupe.
    – LPH
    Commented Apr 4, 2023 at 18:57
  • 2
    @LPH Justement, c'est l'exception qui confirme la règle. Dans cette acception, c'est un verbe à cheval sur les premier et troisième groupes. On dit Rien à fiche, je n'ai jamais entendu Rien à ficher.
    – jlliagre
    Commented Apr 4, 2023 at 22:11
  • @jlliagre Je ne vois pas d'explication dans cette réponse ; elle ne donne pas la raison pour l'anomalie ; c'est une réponse hors sujet ; ce qui est demandé c'est comment cette catégorie ambigüe s'explique ; y-a-t-il d'autres cas de verbes comme celui-ci ? « L'exception qui confirme la règle » ne signifie rien pour moi.
    – LPH
    Commented Apr 4, 2023 at 22:19
  • Je ne vois pas d'autre verbe que celui-là. La raison de cet infinitif irrégulier est qu'il ne s'agit pas vraiment du verbe ficher mais d'un euphémisme pour foutre, et qu'on ne dit pas J'en ai rien à foutrer.
    – jlliagre
    Commented Apr 4, 2023 at 22:24
  • 3
    Tous les verbes français contiennent la lettre r à l'infinitif quelle que soit la terminaison : -er, -ir, -oir, -re... sauf un qui confirme la règle : fiche. Ce verbe familier vient de ficher et signifie faire. On le retrouve à l'infinitif dans l'expression "Rien à fiche". Et il n'a pas de r ! Le Figaro
    – jlliagre
    Commented Apr 4, 2023 at 22:29
3

Parce que c'est comme cela que les gens parlent

Votre question porte bien sur savoir pourquoi un tel infinitif bizarre est utilisé. La réponse est la même que pour toutes les questions portant sur le pourquoi de telle ou telle particularité grammaticale: les gens parlent ainsi.

Quant à savoir pourquoi les gens parlent ainsi, d'autres ont déjà répondu: la formulation avec "foutre" est très populaire mais comme elle est très vulgaire certaines préfèrent lui substituer l'euphémisme "fiche", les deux signifiant dans cet usage "faire" ou parfois "mettre" voire "désintéresser" (comme dans "je m'en fiche").

Je n'ai pas trouvé de source officielle sur l'origine étymologique de cet euphémisme, mais j'ai une hypothèse qui me semble tenir: le participe passé de "foutre" est "foutu", et en tant qu'adjectif il signifie "qui ne peut plus fonctionner". C'est le même sens pour "fichu", le participe de "fiche" (mais pas de "ficher", dont le participe est "fiché"). Mon hypothèse est donc que le verbe "fiche" est une extrapolation de l'adjectif "fichu" en tant que participe passé.

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  • On m'aurait dit que jusqu'à une certaine période dans le passé les mécanismes institutionnels sont arrivés à préserver la parfaite uniformité de forme des verbes, et il la préservent encore presque parfaitement, mais qu'à partir de cette période ils ont commencé à ne plus opérer de cette façon (apparition de « ficher ») , je serais devenu curieux. On a changé comment les gens parlent tout au cours des siècles. Un rapprochement entre « fichu » et « foutu » serait convainquant dans l'explication de pourquoi les gens parlent comme ils le font, mais vous ne faites pas ce rapprochement.
    – LPH
    Commented Apr 5, 2023 at 0:13
  • 4
    @LPH Je ne comprends pas ce que vous dites. Ce ne sont jamais les "mécanismes institutionnels" qui font une langue, mais ses locuteurs. Parfois une institution peut suggérer un usage, mais tant que les locuteurs ne l'ont pas adopté ça ne deviendra pas une règle de ce langage. Commented Apr 5, 2023 at 16:36
  • On ne peut pas nier que les locuteurs d'une langue participent à son élaboration, mais dire cela consiste à faire une généralisation sans borne qui n'est pas utile ; la vaste majorité des locuteurs n'apportent rien à la langue et ce n'est qu'une très petite minorité qui y contribue et comprend ses rouages, les linguistes, les intellectuels, les enseignants ; eux seuls sont capable de juger de la valeur d'un tour ou d'un principe de grammaire, eux seuls possèdent la connaissance de la base technique sur laquelle repose l'édifice. Les mécanismes sont multiples ; ils fonctionnent (1/3)
    – LPH
    Commented Apr 5, 2023 at 18:03
  • à travers des organismes, et des individus qui occuppent des positions privilégiées, l'Académie (qui décide de ce qu'il faut et ne faut pas dire), le gouvernement qui entre autres choses fait des décrets sur la langue et fournit des listes de termes nouveaux reconnus, les académies régionales qui peuvent dicter certains programmes (ex. et orienter la langue, les maisons de publications qui ont leur mot à dire sur ce qu'elles proposent au public, les écrivains eux-mêmes, qui ont (2/3)
    – LPH
    Commented Apr 5, 2023 at 18:04
  • 1
    @LPH Non. Pour prendre l'exemple de l'Académie: elle ne comporte personne qui "comprenne les rouages" de la langue (zéro linguistes, eh oui, et il suffit de regarder ce qu'ils produisent pour se rendre compte que n'importe qui avec du temps pour lui ferait un aussi bon travail). Elle ne décide de rien (elle émet des avis, en général peu éclairés, et seuls ceux que ça amuse les suivent). Cette vision élitiste de l'évolution d'une langue est fausse, en plus d'être méprisante. Commented Apr 10, 2023 at 21:01
2

"fiche" est dans ce sens l’infinitif de "ficher" utilisé comme synonyme de "foutre" qui est considéré comme plutôt inconvenant..
Ce type d'infinitif est effectivement très particulier.

Exemples:

Comment vous ne savez pas ? La mère Cloutet vient de se fiche dans le canal avec ses deux gosses ; on l’a retirée encore vivante et c’est une grande chance, car elle est enceinte, mais les deux pauv’ gosses sont noyés.
(Léon Frapié, La maternelle, Librairie Universelle, 1908)

Voilà au moins cinq mois que l’on n’avait pas vu le père Bouzille se fiche à l’eau !…
(Pierre Souvestre et Marcel Allain, Les Amours d’un prince, 1912, chapitre XXVI)

Ah ! non, non, pas ma sonate ! cria Mme Verdurin, je n’ai pas envie à force de pleurer de me fiche un rhume de cerveau avec névralgies faciales, comme la dernière fois.
(Marcel Proust, Un amour de Swann, 1913, réédition Le Livre de Poche, page 8)

Rappelez-vous ce que raconte bonne-maman, reprit Phili. Son attitude lorsqu’il a perdu une petite fille… Il avait l’air de s’en fiche… Il n’a jamais mis les pieds au cimetière…
(François Mauriac, Le Nœud de vipères, Grasset, 1933, réédition Le Livre de Poche, page 101)

Si je veux un ouistiti, je l’aurai, le ouistiti ! Et si ça me plaît d’élever des vipères pour vous les fiche dans vos lits…
(François Mauriac, Le drôle, 1933 ; Gedalge, 1956, page 42)

J’avais seize ans à l’époque, et je n’ai plus pensé qu’à une seule chose : comment fiche le camp ?
(Kai Hermann et Horst Rieck, Moi, Christiane F., 13 ans, droguée, prostituée…, 1978. Traduit de l’allemand par Léa Marcou, 1981, page 67)

Je n'ai pas trouvé d'explication à cet infinitif "fiche" et non "ficher".

Le commentaire suivant de Henri Theureau donne queques petites informations , mais ne répond pas à la question.

Je m’en fiche est, à l’origine, un euphémisme, une version édulcorée de Je m’en fous. De la même façon qu’on dit “mince!” au lieu de dire “merde !”, on dit (ou on disait) “je m’en fiche” pour, précisément, ne pas dire “je m’en fous”, qui est (était) assez grossier à une époque. En effet, le verbe foutre était l’équivalent du verbe fuck en anglais.

De la même façon, l’exclamation “fichtre !” était un euphémisme pour l’exclamation “foutre !” (fuck! ou fuck it!), qui avait de nombreuses variantes comme foutredieu ou foutrebleu (pour éviter le blasphème avec “dieu”), et des dérivations comme foutrement/fichtrement (extremely), foutu (ruined), foutriquet (nincompoop). Sur le modèle de “foutu”, le verbe “ficher”, qui devrait faire “fiché” au participe passé, fait en fait “fichu”: Qui est-ce qui m’a fichu un pareil foutriquet ? (Who the hell sent me such a frigging bugger ?)

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  • La collection d'exemples que vous fournissez est utile dans la confirmation du fait que ce verbe est bizarre, mais ne constitue pas une raison pour cette anomalie. C'est un verbe du premier groupe mais il a deux infinitifs et deux participes passés (conjugaison).
    – LPH
    Commented Apr 4, 2023 at 22:58
  • @LPH : Je n'ai pas de réelle explicationn, mais j'ai complété ma réponse.
    – Graffito
    Commented Apr 4, 2023 at 23:33
  • Ça tend vers une explication.
    – LPH
    Commented Apr 4, 2023 at 23:52
  • @LPH Instinctivement je penche pour une abréviation dans le langage parlé par mimétisme avec "faire" ou "foutre" qui sont tous deux plus courts et cinglants qu'un verbe du 1er groupe comme "ficher". Mais il faudrait un.e linguiste pour répondre. Commented Apr 5, 2023 at 12:16
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[...] utilisé comme euphémisme de foutre comme le montre la réfection du participe passé fichu sur foutu et celle de l'infinitif fiche sur foutre. (TLFi)

Par analogie, les désinences sont généralement conformes à l'usage pour l'infinitif et le participe passé d'un verbe du troisième groupe comme foutre. C'est là le sens-même de cette réfection...

Ficher (XIIe s.), ou plus courant fiche (au participe passé fichu, 1611), s'emploient familièrement pour « jeter avec plus ou moins de force, mettre », au propre et au figuré (ficher qqn dehors), et au sens de « donner » (1628) ; ce sémantisme se réalise dans des locutions comme ficher qqn dedans « l'induire en erreur » (1872). Dans ces emplois, c'est un euphémisme pour foutre. Comme ce dernier, le verbe a pris la valeur large de « faire » dans ne rien fiche. [...] (DHLF/Rey)

Non seulement il y a réfection tel que discuté, mais développement parallèle du sens avec le verbe foutre même s'il peut y avoir concurrence avec la forme en -er dans certains cas. Ne pas présenter ces caractéristiques reviendrait à nier cette évolution parallèle et la réalité linguistique. Rien ni personne n'a un tel mandat.

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