Je vais tenter de répondre mais je ne suis pas expert et il me manque sans doute des connaissances importantes.
Les mots « importe » et « mort » n'ont jamais rimé en français. Pour qu'ils riment, il faudrait que le « e caduc » soit déjà muet, mais que le T final de « mort » ne le soit pas encore. Or le e caduc a très longtemps été une syllabe non accentuée, mais prononcée tout de même. Notamment, chez François Villon, au 15e siècle, il y a bien une distinction nette entre rimes féminines et masculines (avec ou sans un e caduc après la dernière consonne), mais « mort » rime avec « mord » :
Je suys pécheur, je le sçay bien;
Pourtant Dieu ne veult pas ma mort,
Mais convertisse et vive en bien;
Mieulx tout autre que péché mord,
Soye vraye voulenté ou enhort,
Dieu voit, et sa miséricorde,
Se conscience me remord,
Par sa grace pardon m'accorde.
(*Grant Testament* de François Villon, XIV.) Chaque strophe suit le schéma ABABBCBC : « mort », « mord », « enhort » et « remord » riment entre eux, mais pas avec « miséricorde » et « m'accorde ».
Les autres rimes du poème correspondent bien à des rimes au sens courant, c'est-à-dire qu'ils se terminent par la même suite de sons (au moins la dernière voyelle, sans compter un éventuel e caduc, et les éventuelles consonnes suivantes). C'est le cas en français d'aujourd'hui et je crois que c'est le cas du français de Verlaine. Mais les règles des rimes en poésie française ne se limitent pas aux sons. Dans la poésie classique française, on fait des distinctions qui sont inspirées de l'étymologie, mais ne correspondent pas réellement à une prononciation ancienne, et sont codifiées par l'orthographe : on parle quelquefois de « rime pour l'œil » qui vient s'ajouter à la « rime pour l'oreille ». Notamment, un S final casse la rime, même s'il n'influence pas la prononciation. Donc « plume/fûmes », « argent/gens », « affaires/sévère », « tic-tacs/trac », « jamais/effraye » ne sont pas des rimes. Le duo « qu'importe/Mort » est le seul où la prononciation est différente, mais aucune des terminaisons de vers n'est une rime formelle. D'où le titre du poème.
Dans Vers sans rimes, comme dans Vers en assonances, Verlaine casse volontairement les règles qui définissent les rimes. Il s'affranchit des règles qui contraignent les rimes au-delà de la prononciation, et va plus loin en faisant rimer des prononciations différentes (« qu'importe/Mort », « monde/rond », « reprend/rendre », « dénonce/nunc », « glorifier/fière »).
Ces poèmes se placent dans le contexte d'un débat dans les cercles littéraires sur la légitimité d'une poésie qui s'affranchit plus ou moins des règles traditionnelles, allant d'un relâchement des rimes formelles au vers libres. Je ne sais pas où se place Verlaine dans ce débat, et c'est certainement important pour comprendre ce qu'il a voulu exprimer.