Osera-t-il, le Temps, de mes diverses tombes,
Ressusciter un soir favori des colombes,
Un soir qui traîne au fil d’un lambeau voyageur
De ma docile enfance un reflet de rougeur,
Et trempe à l’émeraude un long rose de honte ?
Souvenir, ô bûcher, dont le vent d’or m’affronte,
Souffle au masque la pourpre imprégnant le refus
D’être en moi-même en flamme une autre que je fus…
Viens, mon sang, viens rougir la pâle circonstance
Qu’ennoblissait l’azur de la sainte distance,
Et l’insensible iris du temps que j’adorai !
Viens consumer sur moi ce don décoloré
Viens ! que je reconnaisse et que je les haïsse,
Cette ombrageuse enfant, ce silence complice,
Ce trouble transparent qui baigne dans les bois…
Et de mon sein glacé rejaillisse la voix
Que j’ignorais si rauque et d’amour si voilée…
Le col charmant cherchant la chasseresse ailée.
There is very apparently an error in the translation of "masque". This word means plainly "the expression of the face". Otherwise, where would this supposed mask find a materialization in the text?
(TLFi) b) Expression du visage caractéristique d'un personnage, d'un type de personnage ou de personnalité. Un personnage de haute stature (...) dont les traits énergiques évoquaient le masque de Bonaparte jeune (Martin du G.,Thib.,Été 14, 1936, p.337).Le masque de l'anxieux est l'antithèse du masque du sourire (Mounier,Traité caract.,1946, p.233)
• ... il semblait (...) qu'il eût suffi au sang japonais de sa mère d'adoucir le masque d'abbé ascétique du vieux Gisors − masque dont une robe de chambre en poil de chameau, cette nuit, accentuait le caractère − pour en faire le visage de samouraï de son fils. Malraux,Cond. hum.,1933, p.208.
"Souffle au masque" means "gives to the facial expression a reddish hue". This hue is caused by the shame that is associated to the process of refusing the reality of a former self; however the author gives to it an abstract reality, it is shame itself and it pervades the ideas that embody the refusal of himself (intellectual identification of Valery with the parque, see below). "En moi-même en flamme" is a bloc, it is the consciousness tortured by the memory (souvenir, ô bûcher), this memory being the former "self" and all that it evokes, which insinuates itself for a place alongside the present "self", but which meets with rejection.
Chemins de traverse de la philosophie
[…] Ces divers éléments indiquent plusieurs thèmes :
– celui du temps et de la mémoire : tout se passe comme si Valéry, sous la pression de Gide et de Gallimard, cherchant un sujet pour son poème, n’en trouvait pas d’autre qu’un regard sur son passé, ce long temps qui le sépare de ses premiers vers et de la rupture radicale qu’il instaure à ce moment, avec la poésie. Valéry prend donc pour thématique cela même qu’on lui demande de faire : revenir sur ce qu’il a fait.
On saisit mieux par là la formule fameuse : « […] j’ai trouvé après coup dans le poème fini quelque air d’…auto-biographie (intellectuelle, s’entend)». (Corr. VG, 448). Qu’est-ce à dire ? — Que La Jeune Parque commence quand Valéry se retourne sur ce qu’il fut et refait le cheminement de sa vie intellectuelle, c’est-à-dire non seulement récapitule un parcours mais aussi cherche à restituer, à travers le processus de l’écriture les phases d’une identité qui se cherche : « Qui pleure là […] si proche de moi-même…? » [1-3] : telle est l’autoréférence (« je me voyais me voir », [35] qui a pour caractéristique la boucle – « Un cercle, a dit Valéry de La Jeune Parque ; si j’avais pu, je l’aurais fermé. »[2] – et l’auto-application, c’est-à-dire la confusion entre le sujet définissant et l’objet à définir, entre moi écrivant la vie de cette Parque et cet autre moi-même qu’elle est. Psyché, ce premier titre envisagé, était excellent qui disait la vie de l’esprit et le miroir, le théâtre de la vie mentale et ses «étranges personnages»[3]. Il ne s’agit donc pas simplement, comme chez Raymond Roussel, d’une méthode, du « Comment j’ai écrit certains de mes livres », mais de l’aperception du moi lointain, perdu peut-être, par un Je, et de l’authentification de soi par l’œuvre. En d’autres termes la Jeune Parque. « sai[t] ce que voit [ son] regard disparu» [160] : l’Album de vers anciens ; mais elle ne le peut qu’en dépouillant « ses robes successives » [80], celles d’une « race naïve » [50], c’est-à-dire trop adhérente à ce qu’elle a fait.
La Jeune Parque répond à la question : que faire de mon passé ? et se surprend à penser, interdite : qu’ai-je fait ? ![4] (au sens où on fait son bilan mais aussi au sens où on commet une faute (« Quel crime par moi-même ou sur moi consommé?» [27] Tel serait le fond du poème, mais le fond n’étant qu’une forme impure, c’est cette forme impure qui fait retour et vient hanter sous forme de souvenir le présent et ceci d’autant plus qu’il est dérogé à la ligne de conduite que l’on s’était fixée. À Gide, en juillet 1912 (Corr. VG, 426) Valéry écrit : « Faut-il monter sur un théâtre qui, après tout et en vérité, n’est pas le mien ? […] Publier ce que j’ai fait, est-ce pas consacrer l’abandon et la catastrophe de ce pour quoi j’avais abandonné ce que j’ai fait ? »
D’où le thème de la faute et de la honte qui « est un grand sujet » (C, V, 97)). Et ici l’entremêlement de plusieurs niveaux, sensibles dans les vers 190 sq – en italiques dans beaucoup d’édition et en particulier dans la première – qui me semblent être le point de départ du poème, comme l’indiquent les trois feuillets datés de 1913 […]