[...] au temps d’avance usité dans le lieu [...]
Si l’on désire mentionner qu’en un certain moment, antérieur à un autre, un avertissement doit être donné, et que la période séparant l’avertissement pourrait varier de lieu en lieu, comment s’y prend-on linguistiquement pour exprimer le tout sans tomber dans l’amphigouri ? La tournure utilisée ici me semble particulièrement claire, bien tournée, concise et appropriée.
Mes quelques essais pour trouver d’autres méthodes d’expression aboutirent rapidement à l’impasse :
- [...] est tenu de l’avertir tant de temps d’avance, correspondant à la période habituelle dans le lieu [...]
→ NON ! Trop long, trop embirlificoté, en plus de la présence d’homonymes côte-à-côte (mais c’est de moindre importance).
- [...] est tenu de l’avertir, de lui laisser le temps de délai habituel dans le lieu avant de [...]
→ NON. Que veut donc dire de toute manière laisser le temps, quant on parle d’un locataire évincé ? Trop sujet à interprétation.
Comment analyser la tournure utilisée, alors ?
Réfléchissons tout d’abord au temps que l’on indique. Il s’agit d’un moment (au temps, c’est-à-dire « en ce temps-là qui sera défini par la suite ») dans l’écoulement général du Temps (avec un grand T), que l’on définit comme en précédant un autre (d’avance), d’une période telle qu’habituelle ou usitée en un lieu indiqué (dans le lieu). C’est donc un moment que l’on définit relativement à un autre, selon une échelle qui varie selon le lieu, mais qui est définie néanmoins pour chaque lieu.
Pléonasme ?
Il va de soi que l’avertissement précède habituellement l’effet. À ce titre, on peut en effet se demander si d’avance était parfaitement nécessaire.
Et il semble bien qu’il est nécessaire, car il sert à positionner le point zéro, l’éviction, à partir duquel on se doit de positionner l’avertissement. Sans cette précision, on pourrait chipoter et dire que le temps usité pour l’avertissement est un point absolu dans le temps, par exemple que c’est samedi matin ou le 4 du mois à midi, point à la ligne, l’éviction fut-elle due pour l’après-midi même. En version modifiée pour illustration :
L’acquéreur qui veut user de la faculté réservée par le bail d’expulser le locataire en cas de vente est, en outre, tenu de l’avertir au temps usité dans le lieu pour les congés.
Grâce à ce petit d’avance, on force une mesure de temps relative, et une période, un délai fixe, et non pas un temps fixe avec une période ou un délai fonction de la position temporelle de l’éviction par rapport à ce temps fixe.
Pas un pléonasme, donc, mais une précision nécessaire...
...du moins avec « avertir ». Qu’en serait-il si un autre terme était utilisé, un terme que l’on retrouve plus souvent dans la liste des suspects de la section Pléonasmes vicieux (à éviter votre vie dut-elle en dépendre) des manuels de grammaire habituels ? Un terme, par exemple, commençant par PRÉ-, marqué d’antécédence dans la fabrique étymologique même de son être ? Un terme comme prévenir ? Ou comme préparer, si le contexte était légèrement différent ?
Voyons voir ce que deviendrait le code ainsi modifié :
L’acquéreur qui veut user de la faculté réservée par le bail d’expulser le locataire en cas de vente est, en outre, tenu de le prévenir au temps d’avance usité dans le lieu pour les congés.
OU
L’acquéreur qui veut user de la faculté réservée par le bail d’expulser le locataire en cas de vente est, en outre, tenu de le prévenir au temps usité dans le lieu pour les congés.
Pour les mêmes raisons de mauvaise foi précédemment invoquées, la seconde version prête à interprétation (un cas extrême : un kiosque est ouvert de minuit à une heure du matin, le lendemain de Noël, pour distribuer les avis d’éviction, à charge pour les occupants de voir si un avis les concerne).
De nouveau, d’avance concerne le temps, et non le verbe (avertir, prévenir, etc.), et sert à marquer l’absolu de la période intermédiaire, entre l’avis d’éviction et l’éviction elle-même, plutôt que l’absolu du moment d’émission de l’avis.