Simplement une comparaison des vouvoiements et de leurs significations à l'époque contemporaine.
En France, le vouvoiement est la manière normale de s'adresser à une personne que vous ne connaissez pas et sous-entend, sinon un certain respect, du moins une certaine réserve dans la familiarité. Vous pourrez remarquer, si vous avez assisté en France, à des confrontations verbales, par exemple entre automobilistes, qu'un seuil significatif d'agressivité est franchi lorsqu'un (au moins) des protagonistes se met à tutoyer son interlocuteur : il semble en fait assez difficile d'insulter quelqu'un en le vouvoyant, mais cela peut se pratiquer, au risque de l'incompréhension d'une de parties.
Toujours en France, le tutoiement est courant entre gens jeunes et avec les personnes familières et requiert malgré tout une certaine proximité, réelle ou supposée.
En Italie, il m'a toujours semblé que le tutoiement était très rapide, que l'on s'adressait à vous d'abord par exemple comme "lei", puis assez vite, on passait au tutoiement. Ce n'est à mon avis pas une marque de familiarité, mais une sorte de désir social d'éviter cette période d'attente avant la familiarité et de sauter l'étape des préliminaires. C'est un grand classique des films français d'avant les années soixante-dix d'entendre un couple d'abord se vouvoyer et, séduction consommée, de se tutoyer, signifiant au spectateur, même s'il est endormi, que les héros sont passés à l'acte et ont atteint le degré ultime de la familiarité. Un autre grand classique aujourd'hui presque disparu est le vouvoiement entre époux, presque un oxymoron. Il était relativement fréquent dans les années cinquante dans les milieux qui se considéraient eux-mêmes comme aisés ou désireux d'assurer l'apparence d'une certaine tenue ; ce vouvoiement-là a maintenant presque complètement disparu, probablement victime des réflexions graveleuses qu'il suscitait.
Le vouvoiement est très présent en Russie, un pays où l'on ne tutoie que les très proches. Il y a dans la langue russe plusieurs poids pour le vouvoiement et c'est une marque de respect que de s'adresser à quelqu'un en utilisant son patronyme "Cher Dmitri Ivanovitch", qui recèle une familiarité respectueuse, et je ne peux penser en français à aucune expression équivalente, qui convoque l'ascendance de votre interlocuteur avec une certaine déférence. Bien entendu, il est impossible de s'adresser à un inconnu de la sorte, et j'ai l'impression que ce dosage subtil est ignoré par le français aussi bien que par l'anglais et que les russes disposent dans leur langue d'un éventail plus riche.