Venons en, maintenant, à ce qui peut arriver brutalement à tout un chacun lorsqu'il éprouve un grand éblouissement à la suite d'une chute ou d'un traumatisme, tel un coup sur la tête. Il est de règle, dit-on, de s'exclamer lorsqu'on revient à soi : “J'ai vu trente-six chandelles !”. Parfois raccourcie ou amplifiée, cette formule, a priori bizarre par le choix de trente-six, perd beaucoup de sa vigueur lorsqu'elle est abrégée en “voir des chandelles” ou grossie jusqu'à “mille chandelles”. À nouveau, via les Grecs et les Romains, l'expression nous vient en droite ligne de la Vallée du Nil.
L'Égypte du passé, plus encore que les Babyloniens, a apporté à la définition du temps un soin extrême. Toute la science de ses prêtres astronomes s'est d'abord attachée à la définition de l'heure ; les observations nocturnes permirent ainsi d'établir le rythme diurne des douze heures que suivent douze heures de nuit débouchant sur notre conception, prétendument moderne, du “jour” de vingt-quatre heures. De leurs longues veilles dans l'obscurité et de l'observation du lever d'étoiles spécifiques dans les cantons géométriques d'un cercle de 360º résultant des 36 divisions théoriques qu'ils avaient calculées formant un arc de 10º chacune, dès le IIIe millénaire avant note ère, les astronomes de la Vallée avaient, par là, défini les trente-six décans du ciel que connaît toujours notre zodiaque.
Selon l'expression même qu'utilisaient les sacerdotes “observateurs du ciel” (baq pet), terme rendu dans les textes grecs à partir des Lagides par le vocable “horoscopes” équivalent à “observateurs de l'heure”, le “travail” de l'étoile se levant, brillant puis se couchant dans le décan de la zone observée du ciel selon la période de l'année définissait pour eux une durée de temps nocturne. À partir de là, l'on établit puis compléta régulièrement des tables horaires de référence. Ceci, résultant de la mise en place des trente-six décans célestes, eut pour conséquence, l'année nocturne étant de 360 “jours”, la définition d'une semaine de dix jours, réglée sur le nombre de divisions internes du cercle théorique d'observation des étoiles ; l'année solaire qu'il fallait naturellement compléter adjoignait à son comput les cinq jours supplémentaires, les “jours en plus de l'an” ou épagomènes.
Qui aurait imaginé, alors, que les révolutionnaires français de 1792 remettraient la décade à l'honneur, joueraient aux quilles ou au pharaon le décadi, croyant devoir aux Grecs “républicains” et à leur mois de trois décades ce qu'ils devaient, en fait, aux vieux Égyptiens enracinés dans leur idéal monarchique !
C'étaient ainsi trente-six luminaires, étoiles ou planètes décanales, que des yeux d'hommes dépourvus de tout moyen optique artificiel d'observation allaient scruter des siècles durant. De quoi, certes, être ébloui et, parfois même, y perdre la vue. Curieusement les observateurs du ciel du temps des Pharaons, malgré la vaste littérature conservée par les traités médicaux sur les maladies oculaires, n'ont pas laissé à la postérité le souvenir ou la plainte des tourments oculaires que beaucoup durent éprouver en avançant en âge. Il faut attendre leurs successeurs, astrologues, mages, devins astraux pour voir, dans leurs écrits, les maladies des yeux attribuées en vrac aux dieux sidéraux. Eux seuls étaient cause de tous les troubles visuels y compris ceux dont souffraient leurs interprètes… Et parfois, comme ils en arrivaient à voir, de même que les patients qu'ils prétendaient traiter, “trente-six” ou “mille chandelles”, c'étaient aux nébuleuses formées d'étoiles à peine distinctes, obnubilant la vision, qu'ils attribuaient l'action la plus nocive. Tombant du ciel, ceci valait bien un coup sur la tête !