La méconception, quel sens ?
La méconception, en premier lieu, est très possiblement inspiré du terme anglais misconception. Il est possible que le français n’y serait pas arrivé par lui-même, attendu que le préfixe mé- n’est plus productif, selon le TLFi :
Vitalité Ce préfixe n’est plus productif aujourd’hui. L’usage courant semble préférer l’emploi de périphrases avec « ne pas, mal » devant un verbe ou « mauvais » devant un substantif. Le préfixe est, par ailleurs, concurrencé par dé- (méplaire/déplaire) ou mal- (malaise/mésaise; malfaire/méfaire). Les mots apparus au XIXe siècle et surtout au XIXe siècle doivent être considérés, à quelques exceptions près (mécompréhension, méforme, mésemploi) comme des néologismes ou des hapax.
Pour autant, la sonorité ou la construction ne détonne pas à l’oreille francophone. Si l’on passe outre que le terme n’est pas entré dans les dictionnaires les plus courants de la langue française, et si nous faisons aussi abstraction de son origine possiblement anglaise (et donc impure ?), on pourrait facilement justifier de s’y attarder au moins un instant, pour juger de la validité du concept qu’il prétend exprimer, possiblement introduire en langue française.
Qu’est donc la méconception ? Elle peut être une idée fausse, pouvant résulter de :
- la mésinterprétation de certains résultats ou observations ;
- l’ignorance, volontaire ou non, de certains aspects d’un raisonnement, d’une théorie, d’une situation, de la réalité, etc. ;
La méconception n’est pas une erreur (de jugement ou autre) ou un vice de raisonnement, elle est plutôt le résultat de ceux-ci. Elle n’est pas non plus une mésinterprétation ou une mécompréhension, mais ce qui découlerait de l’une ou l’autre. Dire qu’elle est méconnaissance ne fonctionne pas, en ce sens que si l’on peut ignorer tout d’un sujet, jusqu’à son existence même, et pouvoir être accusé à raison de le méconnaître (un inventeur injustement méconnu est un inconnu pour la majorité, n’est-ce pas ?), alors qu’on ne saurait en cas de semblable ignorance affirmer qu’il y a méconception.
La méconception pourrait aussi inclure le domaine des conclusions hâtives, ou initialement conçues pour être temporaires, mais n’ayant plus bougé depuis longtemps, faute d’intérêt parfois, ou alors faute de chercher dans la bonne direction pour des contre-exemples, et ayant de ce fait atteint un statut de vérité dans l’esprit d’une personne ou d’un groupe.
Le terme méconclusion n’existe pas non plus en français, mais il ne s’appliquerait pas non plus exactement à la méconception, laquelle est plus vaste et peut très bien survenir lors d’un l’apprentissage, en un moment où il est fort possible qu’aucune conclusion ne se soit clairement établie dans l’esprit de l’apprenant, en un moment où il tente simplement de tracer son chemin et de trouver des repères dans un monde de savoir nouveau pour lui.
Elle n’est pas forcément non plus le résultat d’une erreur de jugement. Parfois, on peut simplement ne pas connaître certains aspects du problème.
Toutes ces définitions des limites du concept semblent plus ou moins cerner le domaine d’application du terme méprise. Je demeure néanmoins sur ma faim. Pourquoi ? Deux motifs :
- Certaines cooccurrences très communes (grossière, lourde, impardonnable, grave méprise) donnent à la méprise une couleur assez péjorative, même utilisée seule.
- Sa proximité phonétique avec mépris, même effet.
Remplacement par une périphrase ?
Quant aux périphrases... C’est strictement personnel, mais même si je ne lève pas le moins du monde le nez sur l’art de la périphrase, j’aime à avoir un mot unique que je puisse introduire dans une phrase complexe. Ça évite de rajouter une couche de complexité, ça aide le lecteur à se concentrer sur l’idée à transmettre plutôt que sur la façon d’agencer les concepts invoqués dans la phrase. Un exemple d’un auteur, talentueux du reste, qui aurait probablement aimé apprendre le terme palanche, qu’il commence par décrire, ce qui n’est pas mauvais en soi, mais qu’il continue à décrire en plusieurs mots chaque nouvelle fois qu’il en fait mention :
À ses pieds était un bambou, long d'une toise, supportant à chacune de ses extrémités un panier, dont la double pesanteur faisait, lorsque le bambou était posé par le milieu sur l'épaule du marchand, plier cette longue canne comme un arc.
[...quelques lignes de texte...]
[...] portant son long bambou chargé de paniers tantôt sur une épaule, tantôt sur l'autre [...]
[...plusieurs pages de texte...]
Au bout d'une demi-heure, Georges vit paraître son messager; il portait sa longue perche de bambou et ses deux paniers, comme s'il eût fait son commerce en ville; car le prévoyant industriel avait pensé qu'il pouvait, sur sa route, rencontrer quelque amateur de chinoiseries.
[...plusieurs nouvelles pages de texte...]
Tandis que Georges questionnait Laïza sur les dispositions de chacun, et établissait avec lui les chances de cette périlleuse entreprise, il aperçut de loin son messager Miko-Miko qui, portant toujours sur son épaule son bambou et ses paniers, marchait de son pas habituel et s'avançait vers l'habitation.
—Georges, d’Alexandre Dumas père (rien de moins...)
Mais bon, on peut penser à des expressions déjà mentionnées :
- idée fausse, surtout
- ...mais aussi idée reçue, erronée, préconçue
En dépit du fait que le concept semblerait raisonnablement pouvoir obtenir le droit d’intégrer la langue, les subtilités introduites sont pour le moins discrètes, et dans la plupart des cas on pourrait déplacer légèrement le point de vue et éviter l’utilisation de méconception sans que cela ne cause de problèmes majeurs. Par exemple :
- L’enseignement du système de numération positionnel dès la petite enfance et son omniprésence dans nos vies nourrit la méconception que l’invention du zéro n’était qu’une formalité.
- L’enseignement du système de numération positionnel dès la petite enfance et son omniprésence dans nos vies oriente la pensée vers la conclusion simpliste que l’invention du zéro n’était qu’une formalité.
- L’enseignement du système de numération positionnel dès la petite enfance et son omniprésence dans nos vies offre un chemin tout tracé vers l’idée fausse que l’invention du zéro n’était qu’une formalité.
- L’enseignement du système de numération positionnel dès la petite enfance et son omniprésence dans nos vies peut facilement masquer le fait que l’invention du zéro fut une révolution.