Je ne sais pas s’il y a un lien direct entre le très disparu verbe malaiser et l’adjectif malaisant, mais j’aurais tendence à penser que son action fut plutôt indirecte. Je verrais que la notion de « ressentir un malaise » ait progressivement pavé le chemin à celle de « délibérement faire ressentir un malaise », de laquelle aurait éventuellement émergé ce mot, malaisant, concentrant en trois syllabes cette notion, qui put dès lors s’incorporer facilement dans une phrase sans l’allourdir. Pourquoi ce mot a-t-il pris cette forme en particulier? Là peut-être pourrait se cacher le verbe malaiser.
Quelques périphrases récemment cristallisées
Si l’on explore un instant quelques mots d’apparition relativement récente, ou devenus populaires il y a peu, on pourra trouver de semblables contractions de périphrases, ayant différents niveaux de succès :
- anxiogène (qui génère l’angoisse) est probablement compris par la plupart des gens, mais son utilisation demeure limitée.
- capilotracté (qui est tiré par les cheveux) connaît un succès d’estime, mais semble utilisé beaucoup plus par plaisanterie et boutade que sérieusement (le terme étant lui-même, jusqu’à preuve du contraire, capilotracté, on pourra supposer que cette autoréférence n’est pas pour rien dans sa popularité et sa valeur le plus souvent comique).
- chronophage (qui nécessite beaucoup de temps) est très peu utilisé en général, mais semble connaître une existence paisible dans les milieux intellectuels, charmés sans doute par les racines grecques appliquées de manière si inattendue. L’indifférence que montrent les dictionnaires usuels à son égard ne change apparemment rien à son statut ou à son utilisation.
- jouissif (qui provoque [une version modeste de] la jouissance), dont les premières attestations datent des années 1940, est aujourd’hui très bien accepté.
Des participes de verbes peu usités
Le français possède un certain nombre d’adjectifs tirés de participes présents ou passés, dont le verbe-source est plus rare, parfois disparu. Parfois, le sens de l’adjectif s’est plus ou moins dissocié du verbe qui a présidé à sa création, au point qu’un parallèle entre les deux peut s’avérer délicat à tracer, et que les divergences égalent et surpassent à l’occasion les convergences. Dans les cas cités ci-dessous pour lesquels le verbe n’existe plus ou pratiquement plus dans la langue contemporaine, une utilisation ou re-création du verbe par plaisanterie aurait de fortes chances d’être comprise, si pas forcément approuvée.
- arrogant Si cet adjectif est bien issu d’un participe présent latin, le verbe arroger, de même racine, n’a plus la même prononciation du G, et leurs sens respectifs sont aussi suffisamment distincts pour qu’il soit laborieux de jeter des ponts entre les deux.
- catastrophé Atterré. Cet adjectif vient du participe passé d’un verbe qui est justement le plus souvent utilisé au participe passé. L’utilisation de l’adjectif semble en essort depuis quelques années et a aussi connut une autre période de popularité au XIXe siècle, à en croire Ngram. Le verbe, quant à lui, ne semble pas profiter de ces vagues et son usage varie beaucoup moins.
- exorbitant Du verbe latin exorbitare (s’écarter de), incluant orbita (voie tracée). Excessif, exagéré. Le verbe exorbiter est rarement utilisé, mais un participe passé virtuel a éventuellement émergé vers la fin du XIXe siècle pour devenir l’adjectif exorbité, pour lequel orbite désigne l’orbite des yeux, ce qui nous donne une image frappante dont la bande dessinée aura par la suite fait grand usage.
- exubérant Qui est très abondant; en parlant d’une personne, qui est très expansif dans ses manières. Tiré du participe présent du verbe exuberare, on retrouve en français, rarement, parfois par volonté délibérée de le mettre à la mode, le verbe exubérer.
« Ça la changeait des soupers de théâtre. Amenée par un critique d’alors, non sans crédit, on avait dû lui faire la leçon, d’avoir à ne pas trop exubérer...
(Exubérer ? J’arrête, je compulse Larousse. Parfaitement : exubérer, — peu usité. Remettons-le en activité.) » – in Mercure de France, 1936
- fendant Arrogant, prétentieux. Ce québécisme est peut-être un euphémisme qui voile délicatement en l’effaçant le fait que quelqu’un de fendant est quelqu’un qui fend le cul (comprendre, qui fait chier). La disparition du complément laisse finalement à l’adjectif assez peu de liens avec un bûcheron qui fend son bois, un faucon qui fend les airs ou un navire qui fend les flots. Même la fente en quatre de cheveux (la tétracapilectomie, comme disait le regretté Umberto Eco) est plus près de l’usage habituel du verbe fendre.
- frappant Un détail frappant ne frappe que l’imagination, un argument frappant a un peu plus de la vigueur du verbe frapper, mais demeure au final tout immatériel. Il y a donc une certaine dissociation entre le verbe et l’adjectif.
- gluant L’adjectivation de ce participe présent du verbe gluer n’a pas suivi son verbe-mère lorsque celui-ci est devenu engluer.
- haletant est beaucoup utilisé de nos jours pour décrire des polars, des films d’action ou des jeux vidéo. Le verbe haleter dont il vient est aussi utilisé, mais son utilisation est pratiquement toujours liée à l’essoufflement véritable plutôt qu’à une perte de souffle virtuelle provoquée par des situations périlleuses vécues par procuration.
- parlant Il est curieux de penser que des statistiques parlantes sont si claires qu’elles se passent très bien de tout commentaire. En le réduisant au silence, on s’éloigne assez du verbe dont il est issu.
- récalcitrant Rétif. Le verbe récalcitrer dont il est tiré est très rare aujourd’hui; il date des débuts du français et on trouve son équivalent en latin.
- redondant Qui se répète ou s’étend trop longtemps. Le verbe redonder (qui foisonne) est très rarement utilisé de nos jours, ce qui n’empêche nullement la bonne santé de redondant.
Tous ces exemples montrent qu’il existe en français d’aujourd’hui des adjectifs issus de participes, mais qui se sont détaché sémantiquement au point que parfois, la mort du verbe n’ait pas entraîné celle de l’adjectif.
On pourra donc supposer qu’il pourrait exister une certaine possibilité de considérer un suffixe -ant pour un nouvel adjectif, sans pour autant supposer d’emblée un verbe duquel il serait une copie du participe présent.
Est-ce déjà arrivé? En cherchant beaucoup, j’ai finalement déniché l’adjectif mirobolant, qui n’est pas tiré du verbe miroboler, lequel n’existe pas. Je crois malgré tout que l’on comprendrait facilement ceci :
Les clowns firent s’esclaffer les enfants, puis arriva le numéro des trapézistes pendant lequel tous retinrent leur souffle, et l’écuyère acheva de miroboler la foule avec ses gracieuses mais combien périlleuses acrobaties.
Un néologisme savant?
Lorsque vint le temps de former un adjectif pour indiquer qu’une chose provoque le malaise, il est possible que l’on ait étudié différentes avenues. Des mots comme malaisif ou malaisogène ne doivent pas avoir retenu longtemps l’attention. Serait-il possible, par contre, qu’une personne éduquée, disposant des ressources linguistiques appropriées, ait pensé à quelque chose comme malaisant, et que la découverte de l’ancien verbe ait servi de justification ultime à la proposition? L’hypothèse me paraît du moins assez simple pour valoir qu’on s’y penche un peu.
Sinon, il pourrait simplement s’agir d’une création spontanée, que le seul hasard a fait pseudomorphe d’un participe présent qui se trouve avoir existé dans un lointain passé, et qui eût été parfaitement approprié pour ce nouvel usage, n’eût été qu’on ignorait son existence. Des adjectifs en -ant existent qui ne sont pas spontanément associés à un verbe, et ils auraient pu servir de modèle.